Etre aumonier naval en 1835

Un évangéliste bilingue pour le port du Havre !

     A l’automne 1834, un nouvel aumônier a succédé à Flavel S. Mines, que son ministère appelait à Paris. Le 19 octobre, le pasteur David Deforest Ely (1802-1848) entamait un travail fructueux parmi les marins du Havre.

     Nous savons peu de choses de lui, sinon qu’il était né dans le Connecticut, et avait été consacré au ministère le 24 juillet 1834 dans une Église presbytérienne (calviniste) à Philadelphie. Il avait suivi une formation théologique à Princeton entre 1830 et 1832. Surtout, chose très intéressante qui explique probablement son appel pour Le Havre, David Deforest Ely était complètement bilingue, car il avait déjà passé plusieurs années dans notre pays. C’était un atout considérable pour oeuvrer en France, que le comité de New-York a su exploiter. En effet, après avoir séjourné deux années au Havre, le pasteur De Forest a été chargé ensuite de fonder la station Béthel de Marseille où nous le retrouverons dans un prochain post.

Un témoin scrupuleux

     Pour l’historien d’aujourd’hui, David deforest Ely est une source de documentation remarquable. En effet l’aumônier des marins a rédigé des rapports très détaillés sur son travail. Il tenait pour cela des carnets de route extrêmement précis. Nous disposons de quelques extraits qui ont été imprimés dans le Seamen’s Magazine and Naval Journal, de New-York. Ce sont des mines de renseignements dans tous les domaines. Cela couvre l’histoire économique et sociale, car l’américain observe avec étonnement nos coutumes locales. On apprend ainsi par exemple qu’au début du XIXe siècle, pour se procurer du lait frais à Marseille, le meilleur moyen était de s’adresser à un chevrier qui passait avec ses bêtes au petit matin dans la rue, et de lui demander d’en traire une sur place ! Les carnets du pasteur Ely abondent également en informations sur l’état spirituel et religieux des habitants des ports. Il nous livre le résumé des conversations qu’il a tenues avec les divers interlocuteurs, anglo-saxons comme français, à propos de la Foi chrétienne. Dernière dimension chère à l’aumônier des marins, la critique des dysfonctionnements de la société. Son ministère le conduit dans les prisons, dans les bouges et dans les hôpitaux. David Deforest Ely est un véritable pionnier du Christianisme social. Il s’afflige des ravages de l’alcoolisme, il dénonce les conditions de travail et l’égoïsme des propriétaires et des tenanciers. Comme tous ses collègues, et globalement les Évangéliques anglo-saxons, il est abolitionniste sur le plan de l’esclavage et prohibitionniste vis à vis de l’alcool.

Le bassin du roi au Havre vers 1835.

Le bassin du roi au Havre vers 1835.

     Dans ses carnets, le pasteur Ely se présente comme très incisif lors des conversations, brandissant fréquemment la menace des châtiments éternels lorsque ses interlocuteurs semblent trop peu préoccupés de leur âme. Sans doute a-t-il résumé un peu trop crûment ses propos. C’était d’ailleurs un exercice de style obligé. N’oublions pas que le poste d’aumônier des marins est supporté financièrement par des donateurs qui doivent être sans cesse rassurés sur le zèle de leur missionnaire, tel qu’il apparaît dans les circulaires.
L’historien d’aujourd’hui doit garder le recul nécessaire à l’exploitation de ce type de sources, d’autant plus qu’elles sont remarquables. Les extraits imprimés des carnets du pasteur Ely dont nous disposons sont le fruit d’une double sélection : le premier tri a été fait par l’aumônier lui-même. Un deuxième est sans doute intervenu quand le comité a choisi ce qui devait en être publié. Cela fait beaucoup de filtres !
Écrivant depuis la France, et ayant bien d’autres sujets de recherche, je ne peux que suggérer à un chercheur éventuellement intéressé de se rendre aux États-Unis pour consulter les archives de l’American Seamen’s Friend Society et de l’Université de Princeton (1) .
Avant d’aborder en détail dans un autre article le contenu des carnets, terminons aujourd’hui sur l’emploi du temps de l’aumônier naval du Havre en 1835 :
« Chaque dimanche, deux prédications, le matin et l’après-midi, ainsi que l’intérim de l’école du dimanche. Le dimanche soir, réunion de prière. Le mardi soir, une conférence. S’y ajoutent des tâches occasionnelles, des visites, et la tournée d’évangélisation le long des docks et à bord des navires aux heures où l’équipage est libre, la distribution de tracts en anglais et en français, la visite des prisons où l’on trouve souvent des marins, en particulier le dimanche matin. Il faut aussi préparer des lettres aux équipages, destinées à être lues après avoir quitté le port et être arrivé en haute mer, sans oublier les visites aux paroissiens résidents, la correspondance avec les autres stations, et, dernièrement, solliciter des dons pour la construction d’une chapelle pour les gens de mer…(2) « 

(A suivre)

Jean-Yves Carluer

1) Princeton Theological Seminary, Library, The David Deforest Ely Manuscript Collection. Le dossier signale qu’après son départ de Marseille, en 1838, David Ely devint enseignant aux États-Unis. Né le 25 septembre 1802 à Lebanon (Connecticut), il mourut le 21 janvier 1848 à Trenton, dans le New-Jersey.
2) Rapport du 6 février 1835, Seamen’s Magazine, 1835, p. 203.

 

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