Un colporteur artiste : Jean Louis Frédéric Dugrenier,
Manicamp (Aisne) l834 – Voisey (Haute-Marne) 1896.
La famille Dugrenier fait partie du petit noyau baptiste qui se réunit en 1837 à Manicamp autour d’Esther Carpentier, la doyenne du colportage biblique français, et du pasteur Jean-Baptiste Crétin.[1] On peut supposer que notre Jean Louis Frédéric était le fils de cette famille (ses parents sont Jean-Louis Germain Dugrenier et Eugénie Adélaïde Bavard). Il est difficile de préciser l’arbre généalogique car l’État-civil de Manicamp a disparu avec la destruction du village, rasé en 1917.
Ce qui est sûr, c’est que la vocation du colportage devait être assez évidente dans ce milieu de convertis zélés du « Réveil », pépinière de colporteurs évangéliques. Jean Louis Frédéric Dugrenier entra au service de l’agence française de la Société biblique britannique en 1860, à l’âge de 26 ans. Il y fait une longue et fructueuse carrière jusqu’en 1895. Les premiers temps, il colporte à longueur d’année dans plusieurs départements, de l’Oise à la Côte-d’Or en passant par l’Aube ou le Doubs. C’est un excellent évangéliste itinérant, qui vend entre 1000 et 2000 exemplaires des Saintes Écritures par an. Célibataire, il est également mobile, ce qui permet à ses directeurs successifs, Victor de Pressensé et Gustave Monod, de l’affecter aux régions les plus délaissées. Sa notice individuelle est élogieuse : « homme sérieux et remarquablement intelligent… Bon vendeur et excellent homme[2]… ».
En 1883, Jean Louis Frédéric Dugrenier est membre du consistoire réformé de Dijon. Il s’est marié et établi à Voisey, en Haute-Marne où il a hérité d’une petite propriété. A partir de 1880, il y reste pendant la belle saison pour s’occuper des tâches agricoles. Il est passé dans la catégorie des « colporteurs-agriculteurs », longtemps dominante dans la diffusion biblique. La saison froide, celle des veillées et de l’hospitalité rurale, est en effet la meilleure pour évangéliser. « Depuis la mort de son père, il est plus absorbé par les soins de sa petite propriété sur laquelle il finira par se retirer tout-à-fait quelque jour », note en 1883 Gustave Monod. Pourtant notre porteur de Bibles reste fidèle au poste. Jean Louis Frédéric Dugrenier participe à la création d’une communauté protestante, non loin de son domicile, à Bourbonne-les-bains, dont le temple tout neuf est confié à la Société Centrale Protestante d’Évangélisation.
L’âge venant, Jean Dugrenier raccourcit ses campagnes de colportage. Il part seulement 9 mois en 1893, 5 en 1894 et 1895.
La publication des extraits de son Carnet de Souvenirs et dessins de monuments protestants sur le blog de la Bibliothèque du protestantisme français m’a, à vrai dire, étonné. Je n’en connaissais pas l’existence. Et pourtant, j’aurais dû m’en douter. Le docteur Gustave Monod, toujours bien informé sur ses agents, avait écrit dans son registre sur Dugrenier : « Huguenot dans l’âme, il aime à décrire (et même à peindre !) les grandes scènes de l’histoire du protestantisme dont il retrouve des traces dans ses voyages ».
Jean Dugrenier a offert son précieux carnet, rempli lors de ses longues courses de célibataire, à la bibliothèque de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français en 1879 (voir l‘article qui précède et le site de la BPF).
Jean-Yves Carluer
[1] Jean-Baptiste Crétin, Notes sur les origines du baptisme, p. 8. Voir aussi Sébastien Fath, Une autre manière d’être chrétien en France : Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810-1950), Genève, 2001, p. 159.
[2] Registre des colporteurs de l’agence française de la B.F.B.S. Archives privées de l’Alliance Biblique Française.