Du collecteur au colporteur – 2

1820. Les premiers colporteurs bibliques.

    Le mouvement de colportage des Écritures est à peu près contemporain des premières sociétés bibliques et des associations de collecteurs. Mais il n’a pu se développer que dans des niches très spécifiques. Il a fallu, en effet, pour cela, la conjonction de multiples facteurs qui ont considérablement limité son extension pendant toute l’époque de la Restauration (1820-1930).

    La mise en place d’un premier colportage biblique nécessitait la conjonction de plusieurs facteurs favorables :

– Des espaces protestants non contrôlés par les pasteurs concordataires, presque aussi méfiants que leurs confrères catholiques dès qu’il s’agissait de la création de nouvelles communautés. Ces espaces « ouverts » existent dans de nombreuses régions de France. La densité pastorale est ainsi particulièrement faible dans l’ouest et le nord du royaume. De nombreuses paroisses n’y sont visitées par un ministre du culte que de temps à autres. Certaines Églises consistoriales n’ont qu’un seul pasteur pour 5 à 6000 âmes réparties sur un ou deux départements.

– L’appui financier ou spirituel d’organismes actifs et indépendants désireux de poser de nouvelles bases spirituelles, à l’instar de la Société Continentale d’Évangélisation. Ses agents favorisent les premières tentatives de colportage, tout en essayant de les encadrer.

– Des sources d’approvisionnement relativement économiques en Nouveaux Testaments. La Société Biblique de Londres, qui n’est pas exactement dans la ligne de celle de Paris, encourage la distribution des Écritures en dehors des paroisses existantes. Elle entend favoriser une distribution auprès des Catholiques. C’est pourquoi elle a développé sa propre agence à Paris, sous la direction du professeur Kieffer. Cette agence sera toujours ouverte aux revendeurs. Elle ouvre même des annexes dans les provinces où se développe le colportage : « La Société Biblique Britannique avait formé des dépôts de Bibles dans les grands centres protestants, comme à Walincourt », écrit Jean-Baptiste Pruvost 1».

– Des populations locales déjà largement alphabétisées. Il est acquis aujourd’hui que cela concerne une partie du royaume, celle qui se situe au nord de la célèbre « ligne Saint-Malo-Genève ».

– Un tolérance au moins tacite des autorités locales qui acceptaient de fermer les yeux sur des contraventions flagrantes à la loi sur le monopole de la Librairie.

colporteur

Un colporteur-marchand commercial au début du XIXe siècle

    Il existe donc des espaces où des tentatives de distribution générale des Écritures est possible, même en dehors des milieux protestants. Toutefois, l’accumulation des contraintes explique que ce colportage biblique n’ait pu être qu’interstitiel et parfois épisodique avant 1830.

    Ce premier colportage s’est mis en place aux côtés, et même à l’ombre du mouvement des sociétés bibliques. Les premiers vendeurs de Bibles itinérants, comme Jean-Baptiste Ladam ou Jean Sol, ont même cultivé une double appartenance qui a représenté pour eux une sauvegarde, dans la mesure où ils pouvaient se faire passer pour des collecteurs protestants officiels et échapper éventuellement aux poursuites !

    Sur le plan géographique, les premiers itinéraires de colportages ont concerné uniquement, sous le régime politique de la Restauration monarchique (1815-1830), des départements périphériques du pays : Nord et Pas-de-Calais, Alsace, et Pyrénées-Atlantiques, sont régulièrement parcourus dès le début des années 1820. Il faut y ajouter, mais plus épisodiquement, le Doubs, l’Ain (le Pays de Gex, plus précisément) et l’Isère.

    Faut-il également voir dans ces espaces des zones qui ont subi une occupation militaire récente, notamment anglaise ? La corrélation est évidente pour le Nord, l’Aisne et le Pas-de-Calais. Elle peut s’envisager également pour le Sud-ouest qui a subi également les opérations militaires de l’armée de Wellington et les tentatives d’évangélisation de George Charles Smith dès 1814.

Jean-Yves Carluer

1Jean-Baptiste Pruvot, Op. cit., p. 45.

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2 réponses à Du collecteur au colporteur – 2

  1. Wintrebert Patrick dit :

    Bonjour Monsieur, je travaille sur une affaire de prosélytisme à Arras survenue en 1835. Il est question sous la plume de l’évêque de déluge de livres distribués dans le diocèse par des colporteurs. Hormis le Calaisis dans lequel les méthodistes sont très actifs et Arras où se trouve un agent de la Société évangélique de France, je ne trouve pas trace de colporteurs. Vous indiquez dans votre notice que le Pas-de-Calais est fortement concerné par le colportage. Auriez vous l’amabilité de m’indiquer la source de cette information ? Bien cordialement P. Wintrebert

    • JeanYves-Carluer dit :

      Bonjour ! Excusez-moi pour le long délai mis à vous répondre, mais j’ai été longuement hospitalisé pus incapable de le faire pendant 2 ans! Plusieurs dizaines de colporteurs évangéliques ont parcouru la région nord pendant les premières décennies de la troisième République, dès que la liberté de diffusion du livre a été autorisée. 4 ou 5 sociétés religieuses protestantes ont soutenu des colporteurs durant ces années. Un exemple : l’Agence française de la Société biblique britannique à salarié une dizaine de colporteurs dans le seul département du Pas-de-Calais à cette époque : Chaudier de 1902 à 1908 puis de 1911 à 1914, Roland, de 1901 à 1903, Eberhard, de 1896 à 1900, Débénest, de 1893 à 1911, Mäilly, de 1894 à 1922, Barthélemy, en 1885, Bénézet, de 1884 à 1891, Charbonnel, de 1882 à 1884, Taffin, de 1872 à 1894, etc Il ne subsiste que le registre du personnel pour cette société, mais d’autres, comme la Société évangélique de Genève (Bibliothèque publique et universitaire de Genève, promenade des Quinconces à Genève), ont conservé tous les rapports complets de quinzaine de leurs agents.
      Avec mes meilleures salutations, Jean-Yves Carluer

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