Le temps des pasteurs-éditeurs de la Bible (1811-1819) -2

Premiers regroupements…

      Nous avons vu que le mouvement de diffusion biblique s’était réamorcé sous le Consulat et l’Empire à la suite d’initiatives locales soutenues par Londres, avec le relais éventuel de la Société de Bâle.

     Les acteurs en sont généralement des pasteurs nationaux, soucieux de fournir les Saintes Écritures à leurs paroissiens. Ce ne sont pas des hommes du Réveil, et encore moins des Évangéliques comme on pourra le définir deux décennies plus tard. Le « méthodisme » est certes présent en France, mais dans des espaces très limités, comme la Normandie. Le « Réveil » viendra plus tard, essentiellement à partir de Genève. Les premiers acteurs de la diffusion biblique sont des héritiers du « protestantisme de Lumières » du siècle précédent. En clair, ce sont souvent des libéraux à l’ancienne mode. Ils sont déistes et plusieurs sont francs-maçons, comme Bernard-Frédéric de Turckheim, ancien grand chancelier provincial, qui devient fondateur de la première société biblique de ce nom, fondée à Strasbourg en 1816. C’était aussi le cas d’Henri Oberlin qui succéda à son père dans le travail de distribution des Bibles. Il faut noter, à ce propos, que la franc-maçonnerie de l’époque semblait alors compatible avec la foi protestante, et que même quelques pionniers du « méthodisme » y firent quelques incursions.

     On peut considérer que, dans le cas français, le Réveil n’a pas été la cause de la diffusion biblique de masse. Il en a été la conséquence.

    On pourrait remarquer que la situation hexagonale est à l’inverse de celle de la Grande Bretagne. La Société Biblique Britannique qui désire respecter en son sein toutes les diversités protestantes est clairement dominée par le courant évangélique, ce qui entraîne une certaine mauvaise humeur du haut-clergé anglican à son égard.

     Le décalage théologique entre les sensibilités dominantes des deux côtés de la Manche n’empêche pas alors une collaboration étendue dans l’édition biblique, mais il est bien présent et explique certaines réticences et de futures scissions.

 Des pasteurs distributeurs

     La deuxième constatation que l’on peut faire concerne le partage des rôles dans la diffusion biblique en France jusqu’en 1819. Il faut pour cela distinguer les différentes étapes de la chaîne d’élaboration, depuis le choix de la traduction jusqu’à la répartition dans les familles.

    La sélection de la version à imprimer est clairement du ressort des ministres du culte. Pour faire simple, les pasteurs de la France du Nord penchent pour la révision Ostervald. C’est le cas des membres du puissant consistoire de la capitale comme Marron ou Soulier. Certains ministres du Sud-Ouest préfèrent la révision Martin. Les plus actifs parmi eux sont le pasteur Chabrand, de Toulouse, ou le doyen Encontre, de la faculté de théologie de Montauban.

Presse Stanhope utilisée avec les plaques stéréotypes. Musée de l'imprimerie Poullaillerie à Lyon. Cliché Frachet.

Presse Stanhope utilisée avec les plaques stéréotypes. Musée de l’imprimerie Poullaillerie à Lyon. Cliché Frachet.

     Quand il s’agit de passer à l’impression, les laïcs participent aux prises de décision. Ces derniers sont, bien entendu, des notables membres des consistoires, qui, comme on sait, « sont choisis parmi les protestants plus imposés ». On retrouve parmi eux des noms comme Daniel Legrand ou le baron de Turkheim. Pasteurs et laïcs associent leurs compétences, voire leurs audaces techniques. C’est le cas d’un homme tout à fait exceptionnel, Frédéric Léo, originaire du duché du Mecklembourg, état encore neutre en 1811, venu à Paris comme pasteur-suffragant du consistoire luthérien. Il s’associa au banquier Sigismond Billing (1773-1832), originaire de la région de Colmar, pour lever une souscription internationale destinée à financer l’achat des lourdes plaques stéréotypes de plomb correspondant à l’intégralité d’un Nouveau Testament Ostervald. Ce procédé, mis au point par la maison Firmin Didot, révolutionnait la composition des textes : les plaques pouvaient supporter des tirages de centaines de milliers d’exemplaires. Elles étaient sans cesse réutilisables, ce qui économisait à chaque fois le travail de composition et permettait d’abaisser considérablement les prix. Cela représentait pour l’impression de la Bible un avantage supplémentaire : il n’y avait plus à corriger sans cesse des fautes à chaque édition ! Mais cette technique avait l’inconvénient de ses qualités : le texte ne pouvait plus être mis à jour et si les plaques comportaient trop d’erreurs, elles partaient à la fonte !

     En une année Frédéric Léo et Sigismond Billing réussirent à collecter plus de 15000 francs or, permettant d’établir une sorte de fondation au service des deux consistoires luthériens et réformés de Paris. Les plaques ainsi financées ainsi que d’autres qui suivirent servirent pendant près d’un siècle à imprimer des Nouveaux Testaments en grand nombre.

     Restait la dernière étape, celle de la distribution, qui mériterait une étude à elle-seule.

     Toute cette dernière phase est alors du ressort des consistoires, c’est-à-dire des paroisses. Les pasteurs désireux de distribuer les Écritures établissent des listes de souscripteurs selon des critères qui leurs sont propres. Les protestants les plus aisés qui peuvent financer leur achat, sont, bien entendu, prioritaires. Mais souvent les consistoires participent financièrement pour aider les plus démunis et même offrent les Bibles à des foyers protestants considérés comme méritants.

     Le problème est moins social que géographique. Car, avant 1818, seuls quelques pôles du pays sont irrigués par ce courant biblique. Ce sont d’abord des grandes villes concernées par le mouvement biblique émergent : Paris, Strasbourg, Mulhouse, Toulouse, Montauban…

     Mais les campagnes protestantes, pourtant encore très peuplées, et la plupart des petites villes sont délaissées. Les plaques stéréotypes du Nouveau Testament sont disponibles. La Grande Bretagne est toujours prête à offrir des financements, la France a retrouvé un semblant de stabilité sous le sceptre du roi Louis XVIII. Reste à organiser une société biblique nationale.

 Jean-Yves Carluer

 

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