L’Évangile en récits populaires -1

Les racines britanniques de la Société des Traités religieux

     La distribution des tracts (ou traités) religieux est apparue dès l’origine comme le complément évident à la diffusion des Écritures par les diverses sociétés bibliques.

    Rappelons que ces dernières éditaient des Bibles ou des Nouveaux Testaments sans notes, commentaires ni introductions. Ces sociétés ont séparé la distribution du document source, le texte sacré, des autres considérations, théologiques, morales ou sociales qui en découlaient. Cette façon de procéder avait plusieurs avantages. Les autorités politiques ou ecclésiastiques pouvaient difficilement interdire la vente des Bibles et des Nouveaux Testaments, ouvrages coûteux, dans la mesure où ils se présentaient comme parfaitement neutres. Mais le débat, l’apologétique, voire la polémique étaient confiés à de petits imprimés, simples pliages d’une unique feuille, que l’on appelait « traités », brochures ou tracts. Ces derniers, sans reliure ni couture, étaient économiques, facilement remplaçables, et très demandés par des populations qui n’avaient guère d’autres supports culturels, les soirs de veillées, par exemple. Après tout, Luther lui-même en avait fait grand usage dès l’époque de la Réforme : les fameuses 95 thèses et les « petits écrits » appartiennent à cette catégorie. On pourrait dire la même chose des Psaumes qui circulaient sous le manteau dans la France du XVIe siècle.

    Pasteurs et prêtres n’ont pas eu le monopole de ce type de diffusion. On sait l’importance des libelles pendant les révolutions ou des traités plus ou moins philosophiques du XVIIIe siècle. Les autorités avaient généralement échoué à contrôler la circulation de ces écrits, et s’étaient finalement accommodées de la circulation des contes et autres récits traditionnels de la Bibliothèque bleue que distribuaient les colporteurs, tout à fait légalement malgré l’hostilité des prêtres.

Hennah More, par Henry William Pickersgill, National portrait Gallery, by Wikimedia.

    A la fin du XVIIIe siècle, les protestants piétistes et les premiers revivalistes remirent en chantier la production de ces ouvrages populaires. Johann Urlsperger créa à Bâle la Deutsche Christentumsgesellschaft pour contrecarrer l’influence rationaliste attribuée aux Français. L’entreprise fut perfectionnée après 1792 en Angleterre par la célèbre Hannah More (1745-1833), véritable polygraphe évangélique, à la plume facile et alerte. Aidée par ses sœurs, elle écrivit ses Cheap repository tracts, publiés au rythme de trois nouveaux titres par mois, pour une circulation qui atteignit un total cumulé de presque deux millions d’exemplaires par an1. Les brochures d’Hannah More mettent en scène des récits vivants et émouvants. La recherche du bonheur est légitime, et il se trouve chaque fois dans une vie familiale, simple et frugale, soutenue par la foi en Dieu et, il faut bien le dire, une certaine résignation et beaucoup de travail. Les situations les plus dramatiques peuvent se dénouer à la suite de conversions. L’historienne Michelle Perrot estime qu’Hannah More a profondément modelé le système de valeurs de l’Occident jusqu’à aujourd’hui. En tout cas, l’auteure britannique a posé les bases d’un idéal évangélique assez récurrent.

Autour d’une tasse…

    A 7 heures du matin, le 9 mai 1799, quarante dignes gentlemen se rencontrent dans un café londonien, non loin de la cathédrale Saint-Paul, à l’initiative du Rev. George Burder, de Coventry. Quelques figures du monde protestant se trouvent parmi eux, dont Rowland Hill, de Surrey Chapel, et David Bogue, de Gosport. Plusieurs d’entre eux se trouvaient la veille à l’assemblée générale de la Société des Missions de Londres et furent convaincus par George Burder de participer à la fondation d’une société « destinée à promouvoir la distribution de traités religieux qui développeraient les vérités évangéliques plus nettement encore qu’Hannah More dans ses excellents Cheap repository Tracts ».

    Les petits déjeuners de travail sont restés une tradition de la Religious Tracts Society, plus de deux siècles après sa fondation. L’oeuvre naissante a pris une dimension que ses fondateurs n’imaginaient même pas, distribuant des écrits chrétiens par milliards. Elle a essaimé en de grandes filiales dans les principaux pays du Globe. Le principe initial d’édition s’est décliné de multiples façons, la plus évidente étant l’impression d’importants ouvrages de librairie.

    Parmi les premiers fondateurs de la Religious Tracts Society, Joseph Hugues et quelques autres se retrouvèrent trois ans plus tard pour la fondation de la Société Biblique Anglaise et Étrangère. Car l’édition de traités chrétiens a précédé celle des nouvelles versions de la Bible.

    Une telle complémentarité ne pouvait que s’étendre à la France…

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

1Lire à ce sujet : Gilles Duval, « Les illustrations des Cheap Repository Tracts dans leur contexte », Bulletin de la société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles , 1997 p. 165-187. Du même auteur, « Une révolution pour la lecture de colportage ? », Dix-huitième siècle, 1996, p. 277-288.

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