Aux origines de la Mission Populaire Évangélique

Le Macédonien de Belleville

    Nous empruntons les pages suivantes à un ouvrage manuscrit du sénateur Eugène Réveillaud, qui fut un des premiers collaborateurs du pasteur McAll, fondateur de l’oeuvre qui s’appela d’abord Mission parmi les ouvriers, puis, après 1889 Mission Populaire Évangélique de France1. Cette œuvre eut un impact déterminant sur l’évangélisation protestante dans les pays francophones. Le manuscrit d’Eugène Réveillaud s’intitulait  Livre des actes de la M.P.E.

    Rappelons que Robert McAll était jusqu’alors pasteur à Harleigh, en Grande-Bretagne.

    C’est en août 1871 que M. et Mme McAll firent le voyage qui changea le cadre et les conditions de leur existence.

   « Ce n’était pas leur goût ni leur coutume » a-t-on justement écrit, de courir les grandes villes en partie de plaisir. Tous les deux aimaient passionnément la nature, et leur plus grand bonheur était de faire des courses de montagne dans le pays-de-Galles, en Écosse ou en Suisse. Une botte d’herborisation en bandoulière et le bâton à la main, ils allaient infatigables, ravis de cueillir au bord des neiges ou dans quelque gorge sauvage une fleur rare dont ils enrichissaient leur collection, dînant de quelques simples provisions apportées de leur dernière étape et savourées près d’une source, couchant le soir dans quelque humble auberge de village, très philosophes et contents de peu. Les monuments bâtis par les hommes les intéressaient moins que l’oeuvre de Dieu, et ils préféraient les solitudes des montagnes à la « foire aux vanités » des grands boulevards de Paris.

   Mais Paris n’était pas en 1871 la foire aux vanités, c’était [alors] une cité de douleur, une grande blessée. Les ruines fumaient, les coeurs saignaient encore lorsque, en août de cette année funèbre, M. et Mme McAll vinrent à Paris. C’était bien la sympathie du coeur, la sympathie chrétienne, excitée par les terribles événements de la guerre et de la Commune, et non la curiosité vulgaire des touristes qui avait inspiré ce voyage. Et la preuve, c’est qu’avant de quitter Londres, à la date du jeudi 10 août, M. McAll s’était rendu au dépôt de la Religious Tract Society pour y faire l’emplette de traités français qu’il se proposait de distribuer en route.

    Et le journal quotidien qu’il tenait, indiquant l’emploi de son temps, note aux dates suivantes :

Dimanche 13 août : — Visite à Rouen, Saint-Ouen, la cathédrale. A l’Église réformée de Saint-Éloi où nous assistons au culte ; plus tard à l’Église anglaise. Distribution de quelques traités.

Vendredi 18. — Notre-Dame, le Luxembourg, le Jardin des Plantes, A Saint-Denis. Distribution de traités qu’on accueille avec enthousiasme.

M. et Mme McAll à Belleville, le 18 août 1871.

   C’est au retour de Saint-Denis, au cours de leur dernière soirée de séjour à Paris qu’ils traversèrent « les quartiers peu attrayants » qui joignent La Villette à Belleville. Et c’est là, distribuant leurs feuillets en chemin, dans les petites boutiques du boulevard de la Villette et dans le grand restaurant situé au bout de la rue de Belleville, qu’il entendit un ouvrier de ce faubourg lui adresser l’appel qui fut pour lui ce que fut pour Saint Paul l’appel du Macédonien2 : « Nous ne pouvons accepter une religion imposée, mais si quelqu’un venait nous prêcher une religion d’un autre genre, une religion de liberté en même temps que de réalité, beaucoup d’entre nous seraient prêts à l’accepter… »

    N’était-ce pas là une direction, une vocation du Maître ? Ne se pouvait-il pas, en effet, que des ouvriers dans l’œuvre du Seigneur, anglais ou américains, étrangers aux partis et aux complications de la politique, eussent, par là même, l’avantage de gagner l’oreille du peuple ?

   L’appel était, en tout cas, bien inattendu. S’il venait de Dieu, comment refuser de lui obéir ? Mais quoi ? rompre les liens si chers qui vous attachent à votre home, à votre ministère, à votre patrie ? Endosser le harnais missionnaire pour une tentative si audacieuse ?

    La vocation admise, il faut admettre aussi que cela ne pouvait être entrepris à l’aventure et à l’étourdie, et qu’il y fallait la réflexion, l’étude, un esprit de prière et de crainte de Dieu.

    « Les probabilités étaient bien, écrit Mme McAll, que nous n’oublierions pas ce que nous avions vu et entendu. Pourtant il n’est pas bon de partir avant d’être sûr d’être envoyé. Aussi, décidâmes-nous de pendre conseil de Dieu et des hommes. Entre autres amis à qui nous demandâmes avis, nous citerons le regretté pasteur français Georges Fisch, alors directeur de la Société Évangélique [de France] ».

    Nous avions été amenés à attendre la réponse qu’il nous ferait comme devant trancher la question pour nous décisive, le to be or not to be de notre détermination. La réponse vint ; la volonté du Seigneur s’y trouvait, pour nous, renfermée. Cette lettre disait :« Venez ! » Pour nous cela signifiait « Nous irons ! »

    Dans une lettre écrite quelques années plus tard et adressée au comité auxiliaire de l’American McAll Association de l’Indiana, M. McAll s’exprimait ainsi :

   « Quand je me consacrai au Saint Ministère, je me serais volontiers offert pour la Mission en pays païens, si je n’en avais été empêché par la pensée de ma mère, âgée et veuve, et dont j’étais le seul fils. Environ douze ou treize ans plus tard, quand Madagascar s’ouvrit à l’Évangile, je fus repris d’un vif désir de rompre tous les chers liens de mon pastorat, de partir pour aller au loin planter l’étendard de la croix. Mais, à ce moment encore, il y avait obstacle : ma femme ne pouvait pas s’éloigner de sa mère âgée.

    Quand le nouveau Macédonien des hauteurs de Belleville se montra à moi, et me dit tout à coup : « Passe et et viens nous secourir ! », je me trouvais pour la première fois dans ma vie libre de ces liens sacrés qui m’avaient jusqu’alors retenu.

    Mes parents morts, il n’y avait plus qu’à briser avec mon Église et ma congrégation, que certes j’aimais beaucoup, et à quitter mon pays et mon home. Je fis ce sacrifice avec joie, regardant comme un privilège inestimable d’être à ce prix engagé dans la mission du Seigneur».

(à suivre)

Jean-Yves Carluer.

1Nous suivons ici le texte publié dans le journal L’Action Missionnaire, à l’occasion du cinquantenaire de la MPE. (1922, p. 363-366). Nous écrivons indistinctement le nom du Rev. Robert Whitaker McAll, d’origine écossaise et né le 17 décembre 1821, sous la graphie d’origine ou sous celle désormais en usage en France, Mac-All. Il avait épousé en 1849 Elisabeth Siddall Hayward.

2L’auteur fait allusion au texte du Livre des Actes des Apôtres, 16, 9.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *