Samuel Curchod (1)

Un colporteur entré dans la légende…

     Samuel Curchod était le type même du colporteur « zélé à l’excès », pour reprendre l’appréciation même du comité de la Société évangélique de Genève (SEG) qui l’employait[1]. Il est décédé à Thiers (Puy-de-Dôme), le 23 avril 1867, à l’âge de 74 ans. L’acte signale qu’il était Vaudois, célibataire, né dans un lieu dit « Soulier-le-Grand » que je n’ai pas réussi à identifier. C’était « un homme aux larges épaules, à la figure bronzée par le soleil, au regard vif, mais doux et modeste au travers d’étroites paupières, au maintien digne[2] »

Samuel Curchot

Le colporteur Samuel Curchot (1793-1867), vers 1860. On reconnait ses vêtements de futaine et la caisse de livres sur son dos

    Laissons la parole au chroniqueur de la Société Évangélique de Genève : «  Curchod fut un colporteur unique en son genre, d’une originalité qui frisait parfois la bizarrerie… À la veille de se marier, il traversa une crise très profonde amenée par le sentiment de ses péchés. Il en sortit victorieux en recevant le Salut par la Croix que lui fit connaître Descombaz père, alors pasteur aux Ormonts, auprès de qui il avait été envoyé. Ce fut le point de départ d’une vie nouvelle pour Curchod ; son projet de mariage fut abandonnée comme contraire à la Bible ; le besoin d’aller faire connaître à d’autres son bonheur le travailla et l’amena à offrir ses services à notre société comme colporteur. Il fut dirigé sur l’Auvergne où une porte venait être ouverte à l’évangile. Il parcourut (combien de fois ?) le Cantal, la Corrèze, la Haute-Vienne, les Charentes …

     Ce fut un franc-tireur infatigable dans l’armée de Jésus-Christ, qui pour avoir une grande indépendance ne demandait aucun traitement régulier… Il eut beaucoup à souffrir comme colporteur ».

     Curchod a été effectivement arrêté comme tant d’autres vendeurs itinérants lors de la grande vague de répression de la liberté de la presse. C’était en 1850 à Gémozac (Charente -Maritime). Les gendarmes avaient trouvé dans sa balle de livres deux traités protestants ne figurant pas sur le catalogue approuvé par le préfet. Transféré à Saintes, il a été toutefois rapidement remis en liberté[3].

     « Une autre fois encore, ses amis furent fort inquiets à son sujet, le bruit ayant été répandu dans l’Auvergne, par ses adversaires, qu’il avait été tué.

     Quand il voyageait, il avait sur sa poitrine un autre sac contenant de l’esprit de vin, cafetière, et sa provision de café. Aux pieds, des souliers avec des clous qu’il faisait fabriquer sous ses yeux. Il portait des habits de futaine…

   -« Ah ! Curchod, disait un jour Madame D.., ce n’est pas bien de votre part de vous habiller ainsi… Vous parlez souvent contre le luxe, la mondanité et vous portez du velours comme les riches ! »

     – Dans un accent près particulier et inimitable, il répondit : « Ah ! Votre mari ne voudrait pas de ce velours-là ! »

     Une autre de ses correspondantes protestantes le décrit au quotidien : « Curchod a été colporteur pendant vingt à vingt-cinq ans dans l’Auvergne où il était connu sous le nom de « Grand nez » ou « un petit peu de lait ». Il vivait modestement, couchait dans les granges, ne perdant aucune occasion d’évangéliser les paysans ; impossible à un autre colporteur de le suivre, car il partait chargé à toute heure de la nuit… Curchod a souffert pour l’oeuvre du Seigneur. Il a été mis en prison et battu[4] ».

     Le rapport de la SEG le cite à l’ordre de l’armée : « Curchod est mort en vétéran et au champ d’honneur [… ) Il a en effet travaillé jusqu’à sa fin, et vous pouvez vous le représenter, dans sa dernière campagne, avec sa balle au dos malgré ses 72 ans et sa cafetière en bandoulière […], allant de lieux en lieux, vendant ses livres, annonçant l’Évangile, tenant tête aux incrédules et aux papistes par le texte même de la Bible qu’il savait toujours citer à propos et avec un langage incisif qui lui était propre[5] ».

     Un des problèmes de ces ouvriers d’exception, c’est justement qu’ils ont du mal à se mettre au niveau plus prosaïque de leurs collègues et qu’ils ont quelques difficultés à collaborer : « Curchod se plaint des procédés des colporteurs de Paris, qui, non seulement vendent au rabais, mais ne font pas honneur à l’Evangile[6] ». Ce colporteur était un solitaire, autant par élitisme religieux que par tempérament.

      A suivre…

Jean-Yves Carluer

[1] SEG,L 115, P.V. du comité de colportage, 1 novembre 1841. Document archivé à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève.

[2] SEG, rapport, 1867, p. 71.

[3] Le Témoin de la Vérité, mai 1850, n. 5, p. 157, cité par Nicolas Champ, « Les « Envoyés du Démon ». Colporteurs et colportage protestants dans le regard des catholiques en Charente-Inférieure sous l’épiscopat de Mgr Villecourt (1836-1856) », Revue historique de Bordeaux et de la Gironde, 2005, pp. 73-92.

[4] Bulletin de la Société évangélique de Genève, n° 19, février 1900, p. 1-2..

[5] SEG, rapport, 1867, p. 71.

[6] SEG, L 117, P.V. du comité de colportage, 6 février 1864. Les « Colporteurs de Paris », employés par l’agence française de la société biblique britannique étaient habituellement très sérieux !

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