Joseph E. Dutton : pionnier méconnu de l’évangélisation contemporaine.

 

    Le prédicateur à la barbe blanche était un novateur ! Et derrière la pancarte d’homme-sandwich, brûlait l’amour du prochain…

     Joseph E. Dutton : pionnier méconnu de l’évangélisation contemporaine.

    Joseph Dutton est né à Liverpool en 1858 dans une famille pieuse et nombreuse de la classe moyenne. Son père, capitaine au long cours, commandant de paquebot, était également prédicateur méthodiste. Le jeune Joseph (ou Joe) est très tôt confronté au problème de la souffrance et de la mort : trois de ses jeunes frères et sœur sont emportés par la maladie en l’espace d’une semaine. C’est à l’âge de 18 ans qu’il se convertit à Montréal lors d’une réunion des Unions Chrétiennes de Jeunes-Gens. Il retourne en Angleterre : son souhait est alors de devenir missionnaire en Inde. Mais, bientôt, il rentre en contact avec les Assemblées de Frères ( Brethen) et se joint aux premières missions sous la tente. Il repart en Amérique et passe cinq années à la Nouvelle Orléans, où il distribue des tracts évangéliques et se met à prêcher dans les rues, tout en travaillant dans les ateliers de la ville. Le décès de son père le ramène à Liverpool. Pendant 15 ans, il travaille dans les services d’urbanisme de la ville tout en ayant des responsabilités dans les Assemblées locales de Frères. En 1901, à l’âge de 42 ans, il ressent l’appel de l’évangélisation itinérante, à la façon des « Pilgrim Preachers » qui émergent alors dans les milieux des Frères Larges. Il est célibataire, il a amassé un petit pécule. Pour le reste, il « vivra par la Foi ». Il ressent, comme il l’explique dans son autobiographie, un appel évident qui doit interpeller d’autres que lui, « nombre de mes frères et sœurs [dans la Foi] en Angleterre et ailleurs, qui sont célibataires et parfois d’âge mûr, et qui sentent que leur vie n’a pas été si utile que cela pour Dieu, qui n’ont jamais réalisé rien de spécial, alors qu’ils ont souvent espéré un service reconnu pour Dieu, et qui  pensent parfois qu’ils sont trop vieux pour être missionnaires[1] »

Le « Pilgrim Preacher »

Joseph Dutton, évangéliste et colporteur. Il est ici photographié à la fin de sa vie, sans doute dans les années 20, sa sacoche de colporteur à la main, tenant un panneau d'affichage biblique

Joseph Dutton, évangéliste et colporteur. Il est ici photographié à la fin de sa vie, sans doute dans les années 20, sa sacoche de colporteur à la main, tenant un panneau d’affichage biblique

Sa première destination est Paris où il s’installe en mai 1901, sans connaître pratiquement un mot de français. Il prend contact avec des œuvres d’évangélisation de son quartier de Belleville et collabore avec le poste de l’Armée du Salut de la rue Auber. Il est bientôt hébergé par un couple d’Anglais, pionniers des Assemblées de Frères en France, M. et Mme Brooks, qui semblent avoir disposé d’une certaine aisance financière. Ils répandent ensemble, en l’espace de 15 mois, un demi-million de tracts dans les rues de la capitale. Joseph Dutton est officiellement colporteur. S’il distribue beaucoup, il vend peu. Les quelques sous que coûte un Nouveau Testament sont un obstacle déterminant à son achat. Mais le français de Joe Dutton s’améliore progressivement. Il a l’idée de se transformer en homme-sandwich. Sur son premier panneau, il peint à la main le texte de Jean, 3, 16. Le procédé semble plus ou moins accepté par les autorités et la population de la capitale, même si, note Joseph Dutton, « l’évangélisation à Paris n’est pas un jeu d’enfant » ! Pour lui, le problème des Parisiens est l’indifférence religieuse, que ne peuvent ébranler les quelques œuvres évangéliques qui bénéficient pourtant « d’admirables prédicateurs ». Joe Dutton reste encore seul un an à Paris, les Brooks ayant quitté la capitale pour la Normandie. Commence ensuite un ministère itinérant en France, où il rejoint d’abord des œuvres pour marins : les sailor’s home du  Havre puis de Rouen. Il collabore à nouveau avec M. Brooks, devenu évangéliste avec une voiture automobile dans la région de Bernay, dans l’Eure. Mais le projet de colporteur itinérant lui tient à cœur. Il traverse alors à pied, pendant trois mois, la France d’ouest en est, avec son bagage, son panneau, et sa sacoche de Bibles : il vent 500 Nouveaux Testaments dans les villages qu’il traverse pour atteindre finalement Genève…

    Joseph Dutton est épuisé. Il a parcouru jusqu’à 60 km certains jours, dormant dans les granges ou les meules de paille, se nourrissant seulement de pain.

Lors d'une conférence de Joseph Dutton : le modèle réduit du Tabernacle du désert et l'assistance.

Lors d’une conférence de Joseph Dutton : le modèle réduit du Tabernacle du désert et l’assistance.

Il infléchit alors son ministère. Joseph Dutton avait hérité d’une maquette du Tabernacle israélite dans le désert, que son père avait minutieusement construite à ses moments perdus. Il avait mis au point au Havre, avec succès, des réunions chrétiennes basées sur ce support pédagogique. C’est ce qu’il va désormais effectuer entre 1904 et 1905 au cours d’un périple à travers l’Europe, jusque dans les campagnes polonaises. De 1906 à 1909, il est en Afrique du Nord, en Égypte, au Moyen Orient et en Turquie. De 1910 à 1913, il tient des meetings en Grande-Bretagne et en Irlande. Il y rencontre le commandant Salwey et collabore avec lui. Mais il n’oublie pas la France où il retourne périodiquement. En 1913-1914, il entreprend avec E. A. Salwey une tournée d’évangélisation en France et en Espagne, sur laquelle nous reviendrons.

     De nouveau à Paris

     L’été 1914 introduit un développement du ministère de Joseph Dutton en France. La Religious Tract Society, qui est aussi en charge de la Naval and Military Bible Society, s’apprête à distribuer des millions d’Évangiles et de Nouveaux Testaments aux soldats du front. Elle fait de Joe Dutton son correspondant en France. Il débarque avec E. A. Salwey dans un pays en guerre, où les alliés britanniques sont reçus avec sympathie par la population. La distribution biblique y est devenue d’un coup beaucoup plus facile, même si les affiches de nos colporteurs sont volontiers agressives : Joseph Dutton lui-même relate dans ses mémoires l’étonnement des soldats en retraite lors de la bataille de la Marne à la vue de son texte d’homme-sandwich : « Après la mort vient le jugement ! ». Il se joint aux Frères larges de la capitale : « le petit groupe de croyants du 207, rue Lafayette, m’accorda un accueil chaleureux. Pratiquement tous les frères responsables avaient été appelés sous les drapeaux. Un cher ami d’entre eux,  Monsieur B. Bieler, fut porté manquant lors d’un engagement »[2]. Pour distribuer ses textes, Joseph Dutton constitue une petite équipe qui comprend Henry Johnson, M. et Mme Brooks, M. et Mme Salwey, le capitaine Carey Brenton et Frank Brett, ces deux derniers partageant l’appartement parisien qu’il vient de louer au 4, rue Clavel. Ils reçoivent, à l’occasion, l’assistance de volontaires venus de Suisse. Après chaque semaine de distribution dans les gares parisiennes, ils tiennent des meetings (sans autorisation !) le dimanche après-midi sur les grands boulevards. Mais les autorités françaises apprécient de moins en moins de telles prises de libertés. Le commandant Salwey est expulsé en 1915 et Joseph Dutton prend l’habitude de passer ses soirées dans les commissariats avant d’être, chaque fois, relâché. Dans ses mémoires, le colporteur assure avoir distribué personnellement, de main en main, un million d’Évangiles durant cette période de guerre.

    La paix venue, Joseph Dutton mène de front l’administration parisienne de la Scripture Gift Mission et l’évangélisation. La méthode choisie est, cette fois, la campagne de réunions sous la tente, réunions préparées, bien entendu, par une solide distribution de littérature. Il plante son chapiteau en banlieue parisienne de 1920 à 1922, puis à Cannes en 1923, en collaboration avec l’évangéliste H. Arnéra.

Joseph Dutton à Cannes en 1923, lors d'une mission chez H. Arnéra

Joseph Dutton à Cannes en 1923, lors d’une mission chez H. Arnéra

    En octobre 1923, il confie l’œuvre parisienne au commandant Salwey, et entreprend une tournée de présentation de sa maquette du Tabernacle aux Etats-Unis. L’année suivante, il est aux Bermudes et à la Barbade. Il se sent appelé aux Antilles françaises. Il collabore à Fort-de-France avec le pasteur pentecôtiste Delanis, puis à la Guadeloupe avec le pasteur adventiste Brown. Il part ensuite, seul, en novembre 1926, entamer l’évangélisation protestante de l’île de Marie-Galante, qui abrite alors une population de 30.000 âmes. Il y commence des réunions, et fait, à bicyclette, des tournées de distribution. C’est au cours d’un de ces périples qu’il est frappé, à 68 ans par un accident vasculaire. Il meurt à l’hôpital de Capesterre le 24 janvier 1927. Comme il n’y a alors aucun autre protestant dans l’île, son service d’inhumation est pris en charge par l’Église catholique.

    Ainsi disparaît un des évangélistes les plus originaux de son temps, issu d’un mouvement religieux radicalement critique vis-à-vis des Églises constituées, mais qui s’était mis au service de toutes. Souvent solitaire, « il suscita chez beaucoup la vocation d’un service pour la Parole chez ceux auprès de qui il exerça son ministère »[3].  Son indépendance d’esprit lui permit d’oser et d’innover, et fait de lui un pionnier en France de nouvelles formes d’évangélisations, basées sur des techniques de communication de masse (affichage mobile, distributions gratuites, supports visuels, réunions en plein air sur l’espace public, « séries » sous la tente…). Plus qu’un fondateur d’œuvres, il a été un semeur. Telle était sa conviction : « Dieu prendra soin de Sa Parole[4] ».

     Jean-Yves Carluer

[1] An Evangelist’s Travels, or the life and gospel journeys of Joseph E. Dutton, Kilmarnock (Écosse), John Ritchie, sans date (vers 1928), p.18.

[2] Idem, p. 144.

[3] Publishing Salvation, the story of the Scripture Gift Mission, Londres, 1961, p. 97.

[4] An Evangelist’s… p. 21

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Une réponse à Joseph E. Dutton : pionnier méconnu de l’évangélisation contemporaine.

  1. TAPIS dit :

    Merci pour les info.Arnaude Fremont

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