Justine Dalencourt : la quakeresse aux 156 mariages

    Justine Dalencourt (1838-1928), évangéliste rattachée à la Société des Amis (quakers) fut un des acteurs les plus originaux de l’évangélisation protestante sous la Troisième République. Nous reviendrons sur sa vie et son action. Fondatrice de la Mission Évangélique aux femmes de la classe ouvrière, à Boulogne-Billancourt, elle constata immédiatement, dès 1872, le grand nombre des situations de concubinage parmi les ouvriers parisiens.     Rappelons que le « mariage de la main gauche » était une solide tradition du prolétariat français de la capitale, attestée dès le XVIIIe siècle. Le refus fréquent de passer par l’église était causé alors en grande partie par des difficultés financières et administratives. Certains historiens estiment que cette rupture a eu comme première conséquence une mise à l’écart de ces couples par le clergé, et, dans un deuxième temps, sous forme de rétorsion, le développement de l’anticléricalisme des fameux « sans-culottes » révolutionnaires de la capitale.

« Point de conversions sans mise en ordre des vies… »

    Revenons à Madame Dalencourt et son oeuvre d’évangélisation. A quoi sert-il, pensa-t-elle, d’annoncer la « Bonne Nouvelle » dans ces milieux, si elle ne peut être acceptée, parce qu’elle suppose une mise en ordre des vies ?

Justine Dalencourt et son deuxième fils René. Extrait de sa biographie par R.C. Morgan

Justine Dalencourt et son deuxième fils René.
Extrait de sa biographie par R.C. Morgan

    Justine Dalencourt estima que la solution résidait dans un accompagnement social. Elle fonda en 1872 L‘oeuvre des mariages, département matrimonial de son oeuvre d’évangélisation. Il s’agissait essentiellement de régulariser des unions, suite à la conversion d’un ou des deux partenaires.

    Les obstacles était-il administratifs? Notre évangéliste se fit quasiment officier d’État-civil, multipliant les démarches auprès des mairies, des hôpitaux, des consulats, des curés, des procureurs. L’affaire n’était pas simple en 1872, car les archives de la ville de Paris venaient d’être brûlées lors de la Commune. De plus, nombre des futurs époux étaient illettrés, il fallait tout prendre en charge…

    Les obstacles étaient-ils financiers ? Justine Dalencourt, en relation avec le pasteur réformé de Boulogne-Billancourt, se fit organisatrice de mariages… Elle sollicita des témoins, s’occupa des réceptions, faites gracieusement dans ses locaux, expédia les invitations…

       Dans la biographie qu’elle consacre à Justine Dalencourt, Mme Morgan relate la visite de la responsable de la Mission aux femmes de la classe ouvrière, accompagnée d’une amie, dans une maison délabrée d’un quartier extrêmement pauvre. « L’escalier que ces dames montaient grinçait sous leurs pas, comme s’il gémissait sur sa vieillesse rhumatismale. Tout à coup une porte sur le palier s’ouvrit ; une jeune femme en sortit demandant à brûle-pourpoint :

« Êtes-vous la dame qui marie les gens ? Moi aussi j’ai un type que je voudrais qu’il m’épouse[1]

    Les statistiques générales de l’oeuvre pour l’année 1887 font état de 13 mariages régularisés (3 catholiques, 1 civil, 9 protestants, 7 mariages en instance et 16 enfants légitimés)… L’année suivante, ce sont encore 13 mariages, dont 9 bénis par des pasteurs, et 22 enfants légitimés[2].

     Au total, cette branche très originale du travail de Mme Dalencourt déboucha sur un total de 156 mariages, sur un total de 275 cas dont elle s’est occupée, mais qui n’ont pu tous aboutir, pour des raisons diverses.

 Jean-Yves Carluer

[1] R.-C. Morgan, Justine Dalencourt , pionnière du ministère féminin en France. Paris, Librairie Fischbacher, 1929, p. 107.

[2] Mission Évangélique aux femmes de la classe ouvrière, Rapport annuel, 1887 et 1888.

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