L’invention du pavillon Béthel (1)

Les premières sociétés bibliques des gens de mer.

     Nous racontons ailleurs le ministère du pasteur George Charles Smith parmi les blessés rapatriés à Brest, ainsi que les distributions de Nouveaux testaments parmi les prisonniers de guerre[1]. Les 27.613 marins français capturés par les britanniques ou leurs alliés pendant les conflits du Consulat et de l’Empire en faisaient partie. Nous suivrons bientôt le pasteur de Penzance dans la visite des paroisses réformées du Midi.

     Le terrible conflit international qui a ensanglanté l’Europe de 1792 à 1815 s’achemine alors vers sa fin. Deux dynamiques se mettent en place :

     – Le Réveil naval évangélique se renforce dans la Marine de guerre. Les réunions de prière se multiplient sur les vaisseaux de la Navy. Déjà, quelques commandants, comme l’amiral Sir Charles Penrose, collaborent avec la Société Biblique Britannique, au point de faire transporter sur leurs unités des cartons de Nouveaux Testaments destinés à être distribués dans les ports des différentes escales, en particulier autour de la Méditerranée. La Société Biblique a accepté, à titre exceptionnel, de financer ces ouvrages qui sont donc offerts. Autre conséquence d’un Réveil spirituel qui s’est développé dans un cadre militaire, il est admis parmi les marins que les officiers sont les conducteurs naturels, en l’absence d’aumôniers, des assemblées religieuses qui se tiennent à bord.

     Le deuxième mouvement est une inflexion : avec la paix, de nombreuses unités sont désarmées, près de 100.000 matelots sont démobilisés et vont rejoindre les 125.000 marins de la flotte de commerce britannique qui ont été jusque-là très peu touchés par la prédication de conversion.  Certes, certains capitaines de la marine marchande comme Anthony Landers collaboraient à la distribution de Bibles outre-mer et envisageaient même de se transformer en missionnaires lors des escales, mais ils étaient encore rares. En 1815, le « Réveil naval » est donc à un tournant. Va-t-il s’étioler, les marins convertis se joignant aux Églises du littoral ? Va-t-il trouver un nouveau souffle ?

 D’abord des Bibles !

      Comme souvent, les premières pierres du renouveau sont posées par les sociétés bibliques. Visitant, dès 1812, les navires de commerce en escale à Londres, Charles Dudley, le très zélé administrateur de la British and Foreign Bible Society, n’avait trouvé à leur bord qu’un seul exemplaire des Livres Saints en tout, et encore, sur un transport suédois ! La Société Biblique suscite donc la création de sections auxiliaires dans les ports et s’engage à fournir des Bibles gratuitement ou à bas prix. Le capitaine Reynalds fonde en 1813 la première association biblique maritime, qui devient en 1818 la très officielle Société biblique auxiliaire des hommes de mer de la marine marchande (MSABS)[2], sous le patronage inévitable des grands philanthropes évangéliques (Lord Gambier, William Wilberforce, etc). Son agent principal est le lieutenant John Cox. Dès la fin de la première année, 1681 navires avaient reçu un Nouveau Testament. Au même moment, d’autres sociétés bibliques maritimes sont fondées près de Newcastle, Whitby, Hull, Aberdeen, Liverpool, Bristol et nombre d’autres ports, jusqu’aux Îles Shetland ! Le mouvement s’étend immédiatement à l’étranger, en particulier aux USA, mais aussi dans les ports de la mer du Nord et de la Baltique. Une des sociétés les plus actives est celle de Cronstadt, en Russie, fondée en octobre 1816 en liaison avec l’Église orthodoxe, sous la présidence de l’amiral Korobka. Dès 1819, le prince Galitzin assurait que la lecture des Saintes Écritures s’était généralisée à bord des navires russes[3]

      Les Bibles étaient à bord, restait à attendre le Réveil. Il débuta, mais de façon encore timide, dès 1814, dans l’avant-port de Londres, aux docks de Rotherhithe. Les marins aux habits les plus noirs, les matelots des charbonniers à voile de la Tamise furent les premiers à hisser la lumière du fanal Béthel en tête de mât. Nous les suivrons, de Londres jusqu’au Havre, dans de prochains articles.

Jean-Yves Carluer


[1] Nous renvoyons à l’article paru sur le site de l’Association des amis de l’aumônerie militaire protestante à Brest :
http://amisaumoneriebrest.wordpress.com/2013/11/07/automne-1813-les-premieres-editions-modernes-des-evangiles-arrivent-a-brest-dans-un-convoi-de-blesses-rapatries/

[2] MSABS : Merchant-Seamen’s Auxiliary Bible Society.

[3] Cité par Roald Kverndal, Seamen’s Missions, Pasadena, 1986, p. 149.

Les docks de Rotherhite au début du XIXe siècle. Cliché Wikipédia

Les docks de Rotherhite au début du XIXe siècle. Cliché Wikipédia

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