Des temples « Béthel » aux sailors homes

La création des sailors homes et les développements sociaux du Réveil naval britannique

      Avant d’aborder l’impact du mouvement Béthel dans les différents ports de France, nous restons une dernière fois au nord de la Manche, entre 1825 et 1850, pour y suivre les remarquables développements du Réveil spirituel parmi les gens de mer.

Un des sailor's homes de l'est londonien autrefois : la salle de réunions et le piano du Victorian seamen's rest

Un des sailor’s homes de l’est londonien autrefois : la salle de réunions et le piano du Victorian seamen’s rest

    Le mouvement, né sur les rives de la Tamise, est devenu très tôt un phénomène mondial, mais il touche en priorité les pays anglo-saxons et leurs destinations lointaines. Tous les ports notables des Îles britanniques, depuis l’Écosse jusqu’à l’Irlande créent leurs comités Béthel. Que ce soit à terre ou sur de vieux vaisseaux transformés, dans tous les grands estuaires, les chapelles au drapeau bleu à la colombe rassemblent des marins convertis. Il en va de même aux États-unis, de la Nouvelle-Orléans jusque sur les grands lacs ! La première association est fondée à New-York dès 1818. C’est l’époque du « Grand Réveil » sur la côte est. Les marins américains sont particulièrement déterminés, et les premiers navires « tempérants », c’est-à-dire sans alcool à bord, se multiplient. Cela deviendra la règle dans l’US Navy. Parmi les marins les plus zélés, remarquons les équipages des baleiniers de la région du Cap Cod, ceux-là même que l’écrivain Herman Melville a magnifié dans son chef-d’oeuvre, Moby Dick. Leur chasse aux cétacés les mènent à l’autre bout du monde, jusqu’à Hawaï ou Canton ou s’élèvent des chapelles dès 1830.

Un des sailor's homes de l'est londonien autrefois. La salle de lecture du Victorian seamen's rest (http://isleofdogslife.wordpress.com/2013/07/02/eric-pembertons-postcards-seamans-missions-in-east-london/)

Un des sailor’s homes de l’est londonien autrefois. La salle de lecture du Victorian seamen’s rest (http://isleofdogslife.wordpress.com/2013/07/02/eric-pembertons-postcards-seamans-missions-in-east-london/)

     Une expansion aussi rapide ne pouvait hélas se réaliser sans quelques contretemps, dus, évidemment, aux faiblesses humaines. Passons sur quelques heurts d’égos entre les leaders. Le Réveil, à l’origine interconfessionnel, suscite la convoitise des différentes Églises. Les comités évangéliques anglicans se séparent des méthodistes, par exemple. Cette confessionnalisation progressive aboutit à un certain émiettement des organisations dont est victime George Charles Smith. Cependant, l’essentiel est sauf, car le pavillon Béthel devient, par la force des choses, l’étendard unificateur du Réveil, et les différents comités veillent à ne pas être en concurrence sur le terrain.

Les sailor's homes des côtes françaises (1840-1900)

Les sailor’s homes des côtes françaises (1840-1900)

    Le mouvement arrive à maturité et s’épanouit dans les oeuvres sociales. Là encore, G.C. Smith est pionnier. Il crée des revues, fonde les premiers orphelinats ainsi que des asiles de vieillards pour marins. Mais son objectif central est de mettre fin au système de dépendance financière, le crimping system, « l’esclavage maritime » qui étrangle financièrement les matelots. Des réseaux mafieux les maintiennent sous leur dépendance en jouant sur les dettes contractées au port pour de simples hébergements dans les hôtels louches, mais aussi dans les tavernes, les salles de jeux ou les maisons de prostitution. L’urgence sociale rejoint la « lutte contre le vice » et, bien sûr, puisque nous sommes en milieu anglo-saxon, le « respect du Sabbat ».

Un sailor's home en France aujourd'hui : le seamen's centre de Dunkerque (capture Google) de la Mission to Seafarers (The Revd Paul Bennett Manager: Olivier Vantielcke, Princess Alice House, 130 Rue de L'Ecole Maternelle, 59140 Dunkerque).

Un sailor’s home en France aujourd’hui : le seamen’s centre de Dunkerque (capture Google) de la Mission to Seafarers (The Revd Paul Bennett Manager: Olivier Vantielcke,
Princess Alice House, 130 Rue de L’Ecole Maternelle, 59140 Dunkerque).

    Le dernier jour de février 1828, le New Brunswick Theatre, proche du front de mer londonien, et qui était devenu pour beaucoup le symbole même de toutes les corruptions, s’effondre en proie aux flammes. G.C. Smith rassemble des milliers de marins et déblaie les corps et les décombres. Il tient immédiatement un meeting où il annonce la future reconversion de l’édifice en un Sailor’s home, une « maison des marins », où ils seront logés et nourris à prix coûtant. Ils y seront plus loin des tentations, disposeront de salles de lecture, pourront suivre des cours de formation, assister à des réunions, discuter et chanter autour d’un piano en tenant à la main une tasse de thé ou de tisane d’eucalyptus. G.C. Smith trouve le financement. L’idée est bonne. Les sailor’s homes se multiplient autour du monde. Leur désignation varie selon les lieux : seamen’s rest, mariner’s refuge, sailor’s rest… Le principe reste le même.  Dans les petits ports, faute de moyens, on se contente d’une simple « salle de lecture », mais la réalité est là : pour les marins anglophones ou scandinaves, en reprenant ici une expression forte employée dès cette époque en langue anglaise, le Bethel est devenu une alternative crédible au brothel.

     J’ai identifié une dizaine de sailor’s homes dans les ports français, essentiellement sur les côtes de la Manche (voir carte). Il faut ajouter de plus que le principe et le fonctionnement de ces « Abris du marin » ont été minutieusement copiés à la fin du XIXe siècle par le philanthrope Jacques de Thézac pour nos matelots des côtes de la Manche et de l’Atlantique. Tout y était, y compris la tisane d’eucalyptus, tout sauf… Dieu !

    Nous verrons bientôt plus en détail ce qu’il est advenu des vrais Béthel évangéliques  (puisque Béthel veut dire « maison de Dieu » !) dans nos ports et leur rôle de foyers de Réveil spirituel en France.

 Jean-Yves Carluer

Un sailor's home typique, celui du port de Barry, dans le Pays-de-Galles. Source : http://www.pwsts.org.uk/Barry1891-1951/index.htm

Un sailor’s home typique, celui du port de Barry, dans le Pays-de-Galles. Source : http://www.pwsts.org.uk/Barry1891-1951/index.htm

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