Premier rassemblement Béthel à Marseille (décembre 1831)

Les débuts de l’oeuvre navale protestante en France (2)

     Au moment même où la société britannique des gens de mers crée un poste d’aumônier au Havre, une autre oeuvre évangélique, américaine cette fois, met sur pied un projet d’évangélisation dans les ports de France. Il s’agit de l’American Sailor’s Friends Society (ASFS), fondée en 1826 pour fédérer diverses associations navales protestantes américaines. Cette oeuvre a également une vision missionnaire. Son but est d’établir des Béthels dans tous les ports de relâche des gens de mers des USA. Pour reprendre la description faite par l’historien Roald Kverndal, chacun d’entre eux, « portant le message de la Croix sur le bord de mer, devrait devenir une tête de pont pour 1) pénétrer les nations résolument païennes fermées aux missionnaires classiques, 2) apporter le « véritable Évangile » là où un Christianisme corrompu, protégé par des lois intolérantes, l’emportait[1]« .  Dans cette optique clairement prosélyte, la ASFS inaugure son programme en ouvrant des Béthels aussi loin que Canton ou Honolulu. Les meilleurs marins-missionnaires possibles étaient ceux que leur embarquement projetait le plus loin de la terre natale : les baleiniers !

Joshua Leavitt, vers 1860. Cliché réalisé par le célèbre photographe Matthieu Brady. Source Wikipédia.

Joshua Leavitt, vers 1860. Cliché réalisé par le célèbre photographe Matthieu Brady. Source Wikipédia.

     Après des débuts hésitants, dus en particulier au manque de fonds nécessaires à ce programme, l’ASFS se développe progressivement à partir de 1830. Une des chevilles ouvrières de l’essor est son agent général pendant 44 ans, le célèbre pasteur Joshua Leavitt (1794-1873), rédacteur en chef du Sailor’s Magazine de New-York. Pionnier du Christianisme social aux USA, organisateur du Réveil naval, le ministère de Joshua Lewitt prit une dimension supplémentaire à partir de 1839 quand il joua un rôle pivot dans la libération des esclaves noirs révoltés du négrier l’Amistad, histoire racontée dans le film de Steven Spielberg. Désormais le pasteur sera surtout connu comme avocat de l’abolition de l’esclavage aux USA et éditeur de The Emancipator. Il co-signa la lettre adressée à Abraham Lincoln demandant à ce que les noirs américains puissent être incorporés dans l’armée.

     Revenons en France et à l’année 1831. Joshua Leavitt soutient le projet d’établir un Béthel sur nos côtes. Il pense, bien sûr, avec ses associés, à la ville du Havre, mais apprend que George Charles Smith était déjà passé par là. Reste donc Marseille.

Les Prémices de l’oeuvre navale de Marseille

     Nous proposons ici la traduction d’un document fondamental, un article de Joshua Leavitt dans le Sailor’s Magazine de mai 1832, qui fait état des débuts de l’oeuvre navale dans la cité phocéenne :

     « L’attention du comité a été attirée sur la France comme théâtre pour une opération Béthel, surtout depuis que cet intéressant royaume a été ouvert à la libre introduction de l’Évangile. Le port du Havre a été vite occupé par un agent de la British and Foreign Seamen’s Friend Society. Nous avons supposé, cependant, qu’à certains égards, un aumônier américain pourrait être beaucoup plus utile dans certains des ports ; en conséquence, nous avons recherché  d’éventuelles opportunités pour réaliser cet objectif.

     L’été dernier, le Révérend J. C. Brigham[2], membre de notre comité, étant en France, s’est particulièrement intéressé à ce projet. Nos amis de Paris lui ont clairement affirmé que Marseille était le champ d’action dont nous devions nous occuper.

     Récemment, notre comité a eu le plaisir de rencontrer un capitaine pieux et respecté, qui a passé quelque temps dans ce port il y a quelques mois. Ce dernier croit fermement qu’un prédicateur qui s’y rendrait comme aumônier des gens de mer américains y trouverait un champ ouvert. D’après ses dires, il y a habituellement entre 100 et 200 marins des USA [à Marseille], sans compter les britanniques ;  la navigation y est particulièrement concentrée, et un pavillon Béthel hissé sur le rivage serait vu de tous. Aujourd’hui, ceux qui ne connaissent pas la langue française n’ont aucune possibilité d’assister à un service religieux le dimanche. Pour la plupart des habitants, ce jour est consacré aux plaisirs et non à la religion, et ceux qui voudraient le passer dignement ne peuvent obtenir satisfaction. Ce capitaine a tenu un service Béthel, en association avec un autre commandant pieux, venu de Philadelphie. Ils ont eu l’occasion de rencontrer M. de Jersey, un prédicateur méthodiste anglais, un homme zélé et intéressant, qui a assuré la prédication. L’après-midi, ils ont parcouru les alentours et rassemblé une quarantaine de capitaines et autres gens de mer dans l’un de leurs hébergements.

     Le consul britannique, qui était là, les informa qu’il y aurait une homélie en anglais au temple protestant le dimanche matin de la nouvelle année, et que cela continuerait. Les capitaines anglais et américains s’entraident mutuellement avec la plus grande cordialité. Notre interlocuteur est persuadé qu’un aumônier naval américain serait reçu par eux avec gratitude et respect, et que son ministère serait à la fois utile et bien accepté.

     Notre comité sollicite les prières du Peuple de Dieu pour notre jeune frère [J.C. Brigham] afin qu’il ait la sagesse de se conduire avec discrétion. Il ne doit pas se mêler des affaires politiques de la France. Quoiqu’il doive poursuivre naturellement l’approbation et l’amitié des pasteurs [locaux] et des fidèles, c’est seulement pour qu’il puisse se réjouir de leur communion chrétienne, et que par leur collaboration et leurs prières communes, ils puissent « oeuvrer ensemble à leurs succès respectifs[3]« .

J.L.

     Jean-Yves Carluer



[1] Roald Kverndal, op. cit, p. 463, reprenant le programme du fondateur de l’ASFS, John Truair.

[2] John C. Brigham, secrétaire correspondant de l’American Bible Society (William Adam, Life and Services of Rev. John C. Brigham, D.D., Late Corresponding Secretary of the American Bible Society: A Discourse Delivered November 9, 1862, American Bible Society, 1863)

[3] The Sailor’s Magazine, 15 mai 1832, p. 285

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