1832 : l’aumônier naval de Marseille arrive… au Havre !

     En ces premières années de la Monarchie de Juillet, l’American Sailor’s Friends Society (ASFS), étend progressivement son réseau dans les grands ports français. Nous avons vu qu’elle avait d’abord envisagé d’établir un aumônier au Havre, où les marins américains sont nombreux.     Mais George Charles Smith venait d’y fonder une oeuvre britannique, confiée au Rev. Harbottle. C’est pourquoi l’American Sailor’s Friends Society reporte son action sur Marseille, l’autre grand port français, mais où les marins d’outre-Atlantique sont quand même moins nombreux à faire escale.

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Une version américaine du « Bethel flag » vers 1840. On constatera que l’étoile de Noël a évolué en « Star Spangled Banner » (!), et que le bas du drapeau s’orne du mot « temperance ». Le mouvement Béthel américain insistait particulièrement sur l’abstinence de l’alcool.

     Tout se joue en quelques jours, au cours de l’été 1832. La société américaine a trouvé à la fois le financement et un missionnaire prêt à s’embarquer vers la France, le pasteur Flavel Scott Mines (1811-1852). C’est un jeune homme de 21 ans venu de Virginie qui vient d’être consacré au ministère au sein des Églises presbytériennes (réformées) des USA. Il est zélé, chaleureux, et très cultivé, diplômé du Princeton Theological Seminary en 1830. .

     Alors que le Rev. Mines s’apprête à partir pour Marseille, le comité de New-York apprend que le Béthel du Havre est en péril. Le pasteur Harbottle a dû se résigner à rentrer en Grande-Bretagne sans avoir de successeur. En fait, la British and American Seamen’s Friend Society, l’oeuvre de George Smith, traverse alors de telles difficultés financières que tout soutien est devenu impossible. Elle se résout un peu tardivement à transférer le poste du Havre aux Américains. Mais, pendant de longs mois, le Béthel local est sans aumônier.

     Si l’oeuvre est sauvée, c’est grâce à la mobilisation des évangéliques de la ville, qui assurent, tant bien que mal, la continuité du témoignage protestant parmi les marins. Ils font appel à des prédicateurs de passage comme le pasteur Wilks, et l’armateur baleinier Jérémie Winslow paye de ses deniers le prolongement du bail de la salle de lecture… La société de New-York est donc informée que, si elle établit sur place un aumônier naval, il sera accueilli chaleureusement au sein d’une équipe active. C’est ce qui ressort aussi d’une lettre expédiée du Havre le 20 mai par le capitaine Samuel Prine, et reçue quelques jours après que Flavel Scott Mines ait embarqué pour la Normandie :

     « Nos amis ici ont entrepris de maintenir l’ouverture et les activités [de l’oeuvre], dans la prière, le chant et la lecture, en attendant la relève. Nous avons reçu ici la visite de M. Marshall et M. Wilks, de Paris, qui a laissé [quelque temps] un collaborateur, M Egerton […] Au vu des circonstances, j’ai sollicité une assemblée générale des amis de cette oeuvre importante et spéciale, et nous avons renouvelé le bail jusqu’au milieu de l’été, où il faudra chercher un autre local  […]Nous avons été très encouragés depuis deux ou trois dimanches par les prédications d’un capitaine américain, commandant du Corinthian, qui nous a exhortés à la persévérance, sans douter du succès à venir. Nous espérons que le nombre de ces capitaines augmentera, qu’ils deviendront les messagers de l’Évangile, et que leur voix retentira de rivage en rivage[1]« 

     Flavel Mines arrive en août au Havre et donne immédiatement d’excellentes nouvelles : « … Notre Béthel […] est une « chambre haute[2] » . Ses dimensions, si je m’en souviens bien, sont de 40 pieds sur 16 ou 18. Notre local a été bien rempli le premier dimanche dès notre arrivée ; depuis ce temps notre congrégation est allée en s’agrandissant et, en une ou deux occasions, nous [ne pouvions accueillir personne de plus]. Un ordre parfait et une grande solennité ont marqué nos réunions. Effectivement, les auditeurs ont montré un tel sérieux que plusieurs ont même suggéré la tenue d’un grand rassemblement d’information. Plusieurs capitaines m’ont interpellé dans les rues et m’ont plus d’une fois demandé de leur parler du Christ et du Salut de leur âme. L’un d’entre eux donne toute évidence, comme je le crois, d’un changement de coeur. Et, aujourd’hui, j’ai eu une conversation intéressante avec une jeune dame, qui est venue à notre réunion avec son oncle et sa tante […] Elle est arrivée en France à cause de problèmes de santé, et après avoir résidé ici un peu de temps, elle part demain à Marseille, dans le sud de la France[3]. Elle s’est rendue dans notre Béthel au moment même ou j’arrivais, elle a assisté régulièrement à nos réunions et a montré des signes évidents de l’oeuvre de la Grâce. En plus de cette dame, le commandant dont je vous ai parlé plus haut nous quitte cette semaine, et il semble bien que nous devons poursuivre l’édification de l’oeuvre avec de nouvelle pierres. Nous saluons ces gouttes d’eau comme précieuses dans ce sol assoiffé […] Un prêtre catholique, qui n’avait jamais assisté à un service protestant auparavant, a été si interpellé par « l’étrange simplicité » de la réunion, qu’il a donné dix francs, cinq pour le Béthel, et cinq pour la mission [protestante] dans la ville qui vient de débuter au Havre[4]« .

 (A suivre)

 Jean-Yves Carluer


[1] The Sailor’s Magazine, 1832, p. 383.

[2] Le local est situé au premier étage d’un immeuble sur le quai, non loin de « la maison de l’armateur ».

[3] Les médecins britanniques d’alors prescrivaient fréquemment à ceux qui en avaient les moyens un séjour sur la côte méditerranéenne, en particulier dans des cas de tuberculose.

[4] The Sailors Magazine, 1832, p. 89.

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