Le suffrage universel contre les colporteurs

1848-1851 : la démocratie naissante se retourne contre les colporteurs.

L’État contre les colporteurs (4)

      La Seconde République avait bien commencé. La chute de Louis-Philippe et de son régime de la Monarchie de Juillet, ne sont pas vraiment regrettés par les protestants, pourtant représentés alors à la tête du gouvernement par un des leurs, François Guizot.       Les libertés inédites que proclame le gouvernement provisoire issu de la Révolution de février 1848 répondent aux attentes des huguenots et tout particulièrement des plus évangéliques d’entre eux : l’abolition de l’esclavage, les libertés de réunion, d’expression et d’association. Colporteurs et évangélistes vivent un rêve.  Un des plus célèbres d’entre eux, Léon Pilatte, est d’ailleurs relaxé de toutes les poursuites dès les premiers jours de la Seconde République.

     La grande mesure politique de la Révolution de 1848 est le Suffrage Universel (masculin), adopté dans l’enthousiasme dès le 24 février. C’est une grande avancée vers la démocratie. Mais, dans les mois qui suivent, la mesure se retourne contre les colporteurs et les prédicateurs protestants, au point d’aboutir à une véritable persécution. Comment en est-on arrivé là ?

     Les catholiques traditionnels et intransigeants rongeaient leur frein depuis une bonne dizaine d’années sous la Monarchie de Juillet. Ils reprochaient à Louis-Philippe de laisser trop de place aux distributeurs de littérature protestante. Pour eux, le colporteur évangélique était un agent de destruction des équilibres politico-religieux de la France des villes et des villages.

 Une mutation politique fondamentale

Avril 1848 : les premières élections au Suffrage Universel. Les hommes se rendent en colonne depuis les villages jusqu'au au chef-lieu de canton pour voter.

Avril 1848 : les premières élections au Suffrage Universel. Les hommes se rendent en colonne depuis les villages jusqu’au au chef-lieu de canton pour voter.

    Or le Suffrage Universel donne le pouvoir aux ouvriers et surtout aux paysans, bien plus nombreux alors. Auparavant, le droit de vote était détenu par des notables, nobles et bourgeois, réputés raisonnables parce qu’ils gagnaient beaucoup d’argent. On pouvait donc laisser à peu près impunément les colporteurs de toute nature répandre une littérature vue comme plus ou moins subversive au milieu de populations sans pouvoir. A partir du 24 février 1848, les distributeurs itinérants sont devenus des relais politiques essentiels, mal connus et d’autant plus inquiétants, qui peuvent influencer sans contrôle des électeurs pauvres mais désormais souverains par leur nombre.

     Les propriétaires et notables des campagnes ont constaté en avril 1848 que leurs paysans pouvaient voter pour eux, les maintenir au pouvoir, et même les soutenir dans la répression des ouvriers « rouges ». La priorité, désormais, pour ces conservateurs sacrés par le suffrage universel est de maintenir l’électorat rural indemne de toute « contamination » d’idées nouvelles qui pourraient remettre en question l’ordre établi. Le parti catholique ultramontain n’a aucune peine à convaincre les nouveaux dirigeants que la religion traditionnelle est le meilleur ciment du régime ! Tout colporteur doit être surveillé et éventuellement réprimé.

 La répression légale

      La loi sur la presse, votée le 27 juillet 1849, marque le principal tournant.

–  Les colporteurs doivent être porteurs d’un passeport spécial qui est délivré par l’administration  préfectorale et devient révocable à tout moment :

 » Tous distributeurs ou colporteurs de livres, écrits, brochures, gravures et lithographies devront être pourvus d’une autorisation […] Ces autorisations pourront toujours être retirées par les autorités qui les auront délivrées « .

     Les peines encourues varient de un à six mois de prison et une amende de 25 à 500 Francs or.

– Tout ouvrage distribué doit porter un timbre (une estampille) délivré par l’autorité :

     « L’estampille apposée à Paris, à la requête de l’auteur, de l’éditeur, du libraire ou du colporteur, permet la circulation du volume estampillé dans toute la France. L’autorisation du préfet n’est valable que pour le département qu’il administre. La permission de colporter est retirée à tout colporteur qui vend des livres non estampillés.

     Tout individu qui veut colporter un livre, une gravure, un imprimé, ou écrit quelconque, lorsqu’il y est autorisé comme il est dit ci-dessus, doit en présenter deux exemplaires à la direction de la sûreté publique, au Ministère de l’intérieur, pour être vus et lus par la commission permanente, chargée de l’examen des ouvrages destinés au colportage […] Si l’autorisation est accordée, chaque exemplaire est frappé d’un timbre ou estampille, placé sur la première page, qui contient le titre et le nom de l’éditeur. Un catalogue des livres approuvés est mensuellement envoyé aux préfets, qui peuvent estampiller, sans en référer au ministre, tous les livres qui y sont portés.

     Toute contravention est punie de la saisie des livres, du retrait du permis et de peines prononcées par la police correctionnelle » (des amendes qui peuvent monter à des centaines de francs).

 Une application rigoureuse

      Dans un premier temps, les magistrats hésitent. La distribution protestante est-elle concernée par la loi ? Mais bientôt les condamnations tombent. Il n’est plus possible de distribuer des tracts ou des livrets. Même la vente des Bibles ou de Nouveaux Testaments peut être remise en question par un préfet hostile !

     Pendant 30 ans, jusqu’en 1880, la Loi sur la presse encadre et verrouille l’évangélisation et la diffusion protestantes en France.

 Jean-Yves Carluer

 

 

 

 

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