Les laborieux débuts du Béthel de Marseille (1834-1836)

     La mise en place de l’oeuvre protestante des marins a été incontestablement plus compliquée à Marseille qu’au Havre. Et pourtant, on l’a vu, l’American Seamen’s Friend Society caresse l’un et l’autre projets depuis 1831.      Sans doute la société américaine se sent-elle moins concernée par Marseille, où les navires du Nouveau Monde sont un peu moins nombreux à relâcher. Elle a d’ailleurs pourvu en priorité l’embouchure de la Seine en 1832 dès qu’il était apparu que le poste d’aumônier y était vacant. Mais de nombreux indices prouvent que la société américaine avait toujours à coeur le grand port provençal.

Un transport à voile arborant le pavillon Bethel approche d'une côte vers 1840.

Un transport à voile arborant le pavillon Bethel approche d’une côte vers 1840.

     Les besoins spirituels des marins à Marseille sont évoqués plusieurs fois par an dans le Sailor’s Magazine. Au cours de l’hiver 1833-1834, quelques capitaines relâchant dans le port et émus de la situation d’abandon spirituel de « la grande multitude de gens de mer en escale à Marseille  » décidèrent d’y poser eux-mêmes les bases élémentaires d’une oeuvre navale. Ils ouvrirent et alimentèrent une souscription pour l’achat d’un pavillon Bethel. Ils rassemblèrent 151 francs-or, et la mission américaine put bientôt laisser en dépôt, le 6 mars 1834, le précieux pavillon chez un compatriote, chrétien engagé et marchand à Marseille, J.H. Rogers. Il était mis à la disposition de tous les prédicateurs de passage qui voudraient célébrer un culte pour les marins anglophones.

     L’oeuvre navale naissante dispose d’un minimum de relais locaux, clairement beaucoup moins qu’au Havre ou Honfleur où des comités de résidents s’étaient formés pour soutenir l’aumônerie parmi les marins. La société américaine est consciente qu’il lui faut s’associer avec ses homologues britanniques si elle veut soutenir un aumônier sur place.

     La décision est prise au cours du printemps 1834, et le Sailor’s Magazine peut publier en juin un appel au service : « Il passe à Marseille chaque année entre 90 et 100 navires américains et autant d’anglais, et le commerce n’y fait qu’augmenter. La ville est une résidence très intéressante pour un aumônier. Il y a sur place un temple protestant, mais sans pasteur anglophone ; les résidents américains ou anglais sont des hommes très honorables et, pour la plupart, sont accompagnés de leur famille. Pour l’instant, les dépenses seront couvertes par des amis ici… » Suivait le programme minimal fixé à l’aumônier naval : visiter les navires, prêcher en anglais chaque dimanche après-midi au temple réformé, et fonder une école du dimanche.

     C’est dans la presse navale protestante britannique qu’apparaît la première mention du candidat retenu : « L’Angleterre dont les relations quotidiennes avec la France sont immenses, et qui est à portée de vue de ses propres côtes, n’a ni aumônier ni missionnaires maritimes dans aucun de ses ports ! Les chrétiens d’Amérique, cependant, bien que séparés par le vaste océan atlantique, à une distance de quelques 4000 miles, et avec bien moins d’échanges, ont établi un second aumônier des marins pour oeuvrer dans les ports français. […]

Nos bien-aimés et respectés compatriotes, les révérends Dr. A. Reed et Dr. Matheson, les récents délégués de la Congregational Union of England and Wales, ont participé à l’ordination de l’aumônier des marins de Marseille. Le rev. Charles Rockwell a été choisi pour travailler comme aumônier des marins du port de Marseille. Il a reçu son ordination à Hartford, dans le Connecticut, le mardi 23 septembre 1834[1]« .

     Le numéro correspondant du Sailor’s Magazine transcrit sur quatre pages les conseils que le secrétaire de la mission délivre au jeune pasteur. Il lui est particulièrement demandé de se garder de la politique, risque toujours important dans la France d’alors, et de « rendre à César ce qui appartient à César[2]« . Par ailleurs, le comité lui demande de vivre de façon frugale, faute de large financement, et d’improviser sur place la mise en place de l’oeuvre navale.

     Je ne sais si le jeune Charles Rockwell a été très rassuré par ce discours et la large part d’aventure que comportait sa mission.

     De la suite, on aurait pu se douter.

     Elle est racontée dans le rapport annuel de la société américaine, au mois de juin suivant :

« [Charles Rockwell] bénéficia d’un passage gratuit offert par le Secrétaire à la Marine sur la frégate USS Potomac qui fit voile depuis Boston le 23 du mois suivant. Il n’y avait pas d’aumônier à bord. Le commandant, le capitaine Nicholson, demanda à M. Rockwell d’assurer un service régulier le dimanche durant la traversée ; et quand ils arrivèrent en Méditerranée, il lui proposa de rester à bord comme aumônier officiel […] Le commodore Patterson, du Delaware,  appuya la demande et ils adressèrent conjointement au département de la Marine une demande d’affectation de M. Rockwell comme aumônier du Potomac. Selon toutes probabilités, il fut agréé, et la station de Marseille est encore vacante[3]« .

  Jean-Yves Carluer


[1] The pilot, or Sailor’s magazine (publié par la British and Foreign Seamen’s Society) 1834, p. 57.

[2] The Sailor’s Magazine (publié par l’ ASFS), octobre 1834, pp. 78-81.

[3] The Sailor’s Magazine, juin 1835, pp. 291-292.

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