1852-1859 : Pourquoi ce temps de persécution des Évangéliques français ?
Nous avons abordé ailleurs la véritable persécution qu’ont dû subir un certain nombre d’Évangéliques au début du règne de Napoléon III. Colporteurs, évangélistes, instituteurs et pasteurs font connaissance avec la prison. Des temples neufs sont fermés, ainsi que des écoles. La gendarmerie intercepte les colporteurs et vide leur sacoche à la recherche de livrets d’évangélisation. Elle dresse même procès verbal si ces derniers sont découverts lors de perquisitions à leur domicile ! Dans tous les coins de France, l’administration refuse aux Églises naissantes l’autorisation de se réunir.
Pourquoi cette flambée de persécution qui frappe ces communautés, alors même que les paroisses protestantes (et même les évangéliques plus anciennes) jouissent d’un statut officiel et que l’État finance ailleurs leurs temples et leurs pasteurs ?
Le problème a passionné plusieurs historiens contemporains : Pierre Genevray, Jean Bauberot, André Encrevé, Michelle Sacquin, Valentine Zuber, entre autres, ont questionné les archives. Les résultats de leurs travaux concordent.
La faute à l’Empereur ?
– Le souverain, l’empereur Napoléon III, est responsable, évidemment, mais plus par calcul politique que par franche hostilité. Il n’a aucun contentieux avec le Évangéliques qu’il a cotoyés quand il était proscrit en Angleterre et en Amérique. C’est un homme peu religieux, et sa vie privée le montre assez. Simplement, c’est un souverain naturellement autoritaire, étranger par principe au développement de libertés individuelles qu’il ne pourrait contrôler. Et la foi évangélique centrée sur l’engagement individuel du chrétien et sa conversion qui répond ainsi à l’amour du Christ, sans nécessiter la médiation d’aucune Église, lui semble évidemment suspecte.
– Le groupe le plus hostile à la diffusion du protestantisme dans notre pays est alors clairement le catholicisme intransigeant, qui se confond en grande partie avec le courant ultramontain (celui qui se réfère directement à Rome, « au-delà des monts »). Ce catholicisme « de combat » qui s’oppose violemment aux droits de l’homme, considère le protestantisme comme une des causes de la Révolution française, dont il veut effacer l’héritage. Depuis 1815, il prend progressivement le dessus sur le catholicisme « gallican » éventuellement ouvert à un dialogue et même une collaboration avec les Réformés. La montée en puissance des ultramontains a accompagné le renouveau du catholicisme français, phénomène considérable, car, dans les années 1850, le catholicisme est à son apogée en France. Pendant un temps, sous la Restauration (1815-1830), il s’était appuyé sur les royalistes du courant « ultra » symbolisé par le roi Charles X. Mais, à la suite du rejet de ces derniers, surtout dans les villes, les catholiques intransigeants se sont repliés sur les pouvoirs des notables locaux, et surtout l’encadrement culturel du pays. La loi Falloux (1849) leur donné le contrôle de l’enseignement, et les lois sur la presse le pouvoir d’interdire les voix discordantes.
– Les ultramontains sont alors persuadés de disposer des clés de l’avenir. Depuis le début du XIXe siècle, ils analysent le protestantisme comme une religion dont le déclin est assuré. Les libertés accordées par les articles organiques de Napoléon 1er aux paroisses protestantes, libérales sur le plan théologique, de l’est et du sud, ne les inquiètent pas : ce qu’ils constatent alors de la vitalité religieuse des Églises issues de la Réforme les amène à considérer comme inéluctable la disparition de cette confession ou l’annexion de ce qui en restera. Et, il faut bien reconnaître qu’en 1815, ils ne sont pas loin d’avoir raison. C’est le Réveil évangélique qui change tout. Très controversé dans les premières années, il devient progressivement majoritaire au sein du protestantisme, que ce soit dans les consistoires officiels, au sein des « sociétés » bibliques puis évangéliques, et dans les « chapelles » indépendantes, méthodistes ou baptistes.
Le protestantisme ne veut pas mourir !
– Dans un premier temps, les catholiques intransigeants ont méprisé le développement du Réveil en France : c’étaient des « momiers », des « illuminés » dont la mode passerait ou resterait confinée à des milieux « romantiques » largement composés d’étrangers, comme dans la capitale ou dans les villes thermales. Quand l’évangélisation protestante engrange ses premiers succès populaires, dans les années 1840, ses adversaires sont incrédules : les paysans convertis ne peuvent être que manipulés, car on les estime incapables de choix personnels. Pire encore, on les soupçonne d’habiller leurs tendances révolutionnaires d’un vernis évangélique.
– Entre 1848 et 1851, la France est entrée de nouveau en phase révolutionnaire. C’est la Seconde République. Les notables ont dû concéder le suffrage universel. Les paysans ont la clé du pouvoir, et l’on découvre que beaucoup d’entre eux, spécialement dans les régions protestantes du Midi, sont de gauche.
– Au lendemain de son coup d’État du 2 décembre 1851, le futur Napoléon III est obligé de négocier avec les conservateurs et les catholiques. A lui le pouvoir politique, à eux le contrôle de la culture et de la religion. Nombre de monarchistes catholiques sont recrutés comme magistrats, administrateurs ou sous-préfets. C’est l’alliance du trône et de l’autel.
– Forts de cette conjoncture favorable, les catholiques ultramontains veulent profiter des premières années du nouveau régime pour briser net la dynamique de l’évangélisation protestante. Il suffit qu’ils appliquent des lois existantes « à la rigueur », comme au temps de Louis XIV. Ils portent en particulier l’offensive sur les lieux les plus emblématiques des conquêtes évangéliques et qui illustrent, selon eux, leur analyse du prosélytisme protestant : les conversions collectives de villages entiers, comme en Haute-Vienne ne sauraient être que des choix politiques « rouges », des pasteurs ou des instituteurs républicains, comme Félix Chottin, seraient de dangereux agents de subversion, les aides financières de Suisse ou de Grande-Bretagne apporteraient la preuve d’une tentative de déstabilisation étrangère.
– A noter que les initiatives de répression sont venues essentiellement des pouvoirs locaux, et que, souvent, le souverain et quelques-uns de ses ministres ont essayé de minimiser les crises.
– Voilà pourquoi, entre 1852 et 1859, l’évangélisation protestante est passée par sa principale épreuve de l’époque contemporaine. Nous verrons dans un prochain article, comment les protestants ont réussi à déjouer quelque peu le piège.
Jean-Yves Carluer