1859 : la liberté ?

1859 : une sortie de crise et de persécution ?

     Nous avons essayé d’analyser sur ce blog, la semaine dernière, les causes de l’accélération des tracasseries anti-évangéliques au début du Second Empire. En 1855, l’évangélisation protestante est bloquée, plusieurs pasteurs et évangélistes sont en prison, les colporteurs ne sont plus autorisés à vendre d’autres ouvrages que des Bibles, et encore avec de multiples précautions, et les lieux de culte récents sont fermés ou interdits.
Alors que tout semblait noir, et que le rapport de force était très défavorable au protestantisme évangélique, la situation s’est pourtant progressivement améliorée à partir de 1856 et surtout de 1859. Notons cependant que la régime de Napoléon III est resté jusqu’à la fin un temps difficile pour l’évangélisation. Certains temples comme celui de Sainte-Opportune, dans l’Eure, ou celui de Trémel, dans les Côtes-d’Armor, n’ont pu ouvrir qu’après la chute du régime. De même, les colporteurs ne pourront distribuer des traités d’évangélisation qu’une fois la République proclamée le 4 septembre 1870 !
Mais, entre-temps, les agents des sociétés évangéliques ont été progressivement relâchés, des écoles protestantes interdites ont pu ouvrir à nouveau, et l’administration accepta de fermer les yeux sur les réunions « clandestines ». Du coup l’évangélisation protestante a pu poursuivre sa marche en avant, à condition, bien sûr de prendre de multiples précautions.

     Comment les Évangéliques ont-ils pu sortir de la phase aiguë de persécution ?

Les raisons sont multiples. De multiples facteurs sont intervenus, certains de façon inattendue.

1) La remarquable réaction des protestants français :

–     Évangéliques comme libéraux sont restés unis dans la prière et dans la défense de leurs droits, ce qui n’était pas évident jusqu’alors.
–       Les notables et autres « grands laïcs » protestants ont été totalement solidaires de leurs coreligionnaires ruraux, parfois de simples néophytes sans instruction. Des régents de la Banque de France ou des présidents de consistoires se sont déplacés dans les prétoires de sous-préfectures pour assister les paysans ou les instituteurs persécutés.
–    La défense des inculpés n’a pas varié. Alors même que leurs adversaires voulaient les faire passer pour de dangereux révolutionnaires, ils ont toujours proclamé leur respect du pouvoir en place et leur honnêteté n’a pu être mise en doute. Du coup, leurs accusateurs ont été mal à l’aise.
–     Les responsables de l’évangélisation ont multiplié à Paris les contacts et les entrevues avec les ministres concernés. Des hommes comme Henri Lutteroth ou Edmond de Pressensé ont insisté sur les incohérences de la politique du régime d’alors vis-à-vis du droit : pourquoi, à 20 kilomètres de distance et avec le même pasteur, un temple pouvait-il être subventionné et un autre interdit ?

2) Fait déterminant, la crise a pris une dimension internationale.

     C’est sans doute cela qui a contribué à faire réagir Napoléon III, jusqu’alors singulièrement absent des débats. Car l’Empereur tient à son image en Europe. Les multiples tracasseries subies par les évangéliques sont mentionnées, entre autres dans les journaux suisses comme la Semaine religieuse de Genève ou la Feuille religieuse du Canton de Vaud, qui relate avec force détails la résistance des habitants de Villefavard ou de Branges.
–      La première personnalité à intervenir, dès l’hiver 1854, est le comte Alexandre Henri de Saint-George, président de la Société Évangélique de Genève, et à ce titre directement concerné par l’emprisonnement de ses évangélistes. Domicilié dans le canton de Vaud, cet aristocrate d’ascendance française est allié par son épouse à de grandes familles anglaises et hollandaises. Il a connu personnellement Louis Napoléon Bonaparte lorsqu’il était proscrit en Suisse, ce qui lui permet d’être reçu par l’Empereur le 7 janvier 1855. A la suite de cette intervention, le souverain gracie à titre personnel les agents de la Société Évangélique de Genève et fait rouvrir les temples de Saône-et-Loire. Mais cette mesure de clémence ne modifie en rien la législation en vigueur et ne s’applique pas aux évangélistes des autres sociétés à l’oeuvre dans le pays.

Lord Shaftesbury (1801-1885).

Lord Shaftesbury (1801-1885). Image Wikipedia

–      La deuxième personnalité étrangère à intervenir est Lord Antony Ashley-Cooper, comte de Shaftesbury, président de l’Alliance Évangélique. Il est, par son épouse, le gendre de Lord Palmerston, Secrétaire aux affaires étrangères puis Premier ministre du Royaume Uni. Au printemps 1854, Lord Shaftesbury transmet à l’Empereur et à son ministre, Drouyn de Lluys, des notes signées par la fleur de l’aristocratie britannique appelant au soutien des évangélistes persécutés. Mais l’intervention, si elle gène le gouvernement, ne remet pas en question sa politique de contrainte, et la persécution peut continuer de plus belle dans l’Orne ou en Haute-Vienne.
–      La troisième personnalité à intervenir, le 22 mars 1856, est Lord Clarendon, dirigeant du Foreign Office, qui transmet à l’Empereur un plaidoyer d’Henri Lutteroth, président de la Société Évangélique de France, en faveur de la liberté religieuse. Cette fois, le ministre des cultes, Fortoul, fait rouvrir les temples de l’Orne et de la Haute-Vienne. Mais il meurt quelques semaines plus tard. Son successeur, Rouland, revient à une politique oppressive.

3) Le rôle de la conjoncture internationale

     Les opérations militaires en Europe jouent un rôle déterminant dans la sortie progressive de la crise.
–      A la fin de l’année 1854, la France se trouve impliquée dans une guerre contre la Russie, où elle est alliée avec le Royaume-Uni, le Royaume de Piémont-Sardaigne et la Turquie. De tous ces pays, la France est celui qui offre le moins de garanties aux protestants ! Et lorsque les troupes françaises débarquent à Istanbul, faute d’aumôniers militaires luthéro-réformés qui ne sont pas encore opérationnels, c’est un pasteur savoyard, donc piémontais, et des Anglais qui prennent en charge les protestants… Le gouvernement se résout alors à accepter l’envoi d’aumôniers nationaux, mais sans les payer ! Parmi ces pasteurs, deux jeunes gens, frappés par le typhus, meurent pour la France au camp devant Sébastopol : Louis Chardon et Henri Babut (un neveu de Frédéric Monod) sont des Évangéliques, issus des Églises libres. Par leur sacrifice, ils détruisent les accusations d’antipatriotisme portées par les ultramontains contre ces confessions.

Les locaux de l'aumônerie protestante au camp de Sébastopol : le lieu de culte et le quartier de l'aumônier. C'est là que moururent Louis Chardon, le 7 mai 1855, et Henri Babut, le  23 mars 1856. Source : Max Reichard, Souvenir d'un aumônier protestant, p. 9.

Les locaux de l’aumônerie protestante au camp de Sébastopol : le lieu de culte et le quartier de l’aumônier. C’est là que moururent Louis Chardon, le 7 mai 1855, et Henri Babut, le 23 mars 1856. Source : Max Reichard, Souvenir d’un aumônier protestant, p. 9.

–     Quelques années plus tard, au printemps 1859, Napoléon III engage la France contre l’Autriche dans la Campagne d’Italie. Cette fois, le Régime salarie des aumôniers protestants. La campagne d’Italie a deux conséquences religieuses d’importance.
–     La première, assez méconnue hélas, est une nouvelle visibilité internationale des Évangéliques. La Croix Rouge a été créée aux lendemains de la bataille de Solférino dans le cadre de la Société Évangélique de Genève, et son fondateur, Henri Dunant, avait été un des délégués de l’Alliance Évangélique.
La deuxième conséquence se révéla plus inattendue. Empêtrée dans le jeu des nationalités italiennes qu’il ne maîtrisait pas, l’Empereur se retrouva allié avec des troupes qui menaçaient directement les États du pape ! C’en était fini de l’alliance avec les catholiques ultramontains. Napoléon III dut se résoudre à changer de politique, une excellente nouvelle pour l’évangélisation protestante.
–     Mais, déjà, par décret du 19 mars 1859, l’Empereur reconnaissait, avec le secret espoir de mieux les contrôler, l’existence légale en France des cultes non reconnus par l’État. C’était, selon les termes de Frédéric Monod, un « fait considérable »… » un pas en avant dans la voie de la liberté de tous les cultes« (1) .

Jean-Yves Carluer

1) Les Archives du Christianisme, 30 mars 1859.

 

 

Ce contenu a été publié dans Histoire. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *