1804 : s’unir pour agir

1804 : La naissance de la Société Biblique (1) : s’unir pour agir.

 Comment mobiliser des évangéliques divisés ?

 

     Les historiens et chercheurs s’accordent pour estimer que la fondation de la Société Biblique Britannique et Étrangère (BFBS), de Londres, marque une étape décisive dans la diffusion de la foi évangélique sur la planète. «Elle a été mère et modèle de toutes les associations du même genre»», affirmait Orentin Douen dès 1868.

    Aucun autre organisme, Église ou société missionnaire n’a eu autant d’impact que le mouvement biblique initié par la BFBS. Tout en a découlé : réveils, missions, évangélisation.

     La création de la grande Société biblique, en 1804, s’est située dans un contexte extrêmement compliqué et troublé, et cela dans tous les domaines, qu’ils soient religieux, politiques ou sociaux. Leslie Howsam, aujourd’hui professeur à l’Université de Windsor (Ontario), historienne des médias, a analysé la mise en place et le développement de la BFBS[1]. Sa conclusion est passionnante : la clé de son succès repose sur un objectif clair et déterminé : répandre à la surface de la terre l’Écriture Sainte, sans notes ni commentaires. Mais la réalisation de cette oeuvre majeure s’est faite de façon très pragmatique, nécessitant de multiples négociations et transactions religieuses, culturelles ou sociales.

 Un compromis confessionnel

      La première tractation a été confessionnelle. Certes, la Société biblique (BFBS) est née d’une initiative clairement évangélique, et l’on pouvait espérer un large consensus sur le projet dans ces milieux. Ce serait oublier que l’effervescence même du Réveil multipliait les débats voire les chicanes entre «convertis». De ce fait, le paysage évangélique britannique est, de plus, très éclaté en 1804. Le Réveil wesleyen a traversé tout le protestantisme. On trouve nombre d’évangéliques dans la très officielle Église d’Angleterre, à commencer par des évêques. On en trouve en nombre aussi dans la Kirk presbytérienne d’Écosse. Il y a également ceux qui ont préféré se séparer pour constituer des «chapelles», c’est-à-dire des confessions indépendantes que l’on désigne alors comme «méthodistes». N’oublions pas non plus, à ce propos, d’autres «non-conformistes» historiques du XVIIe siècle, baptistes ou quakers, qui ont rejoint le mouvement. Les contentieux sont grands entre l’Église anglicane, officielle et «établie», et les autres confessions, juste tolérées. Leurs membres doivent payer la dîme à la religion d’état, ils n’ont pas le droit de voter et leurs enfants n’ont pas accès aux prestigieuses universités.

Sir Granville Sharp (1735-1813), un des fondateurs de la BFBS.

Sir Granville Sharp (1735-1813), un des fondateurs de la BFBS.
Petit-fils d’un évêque d’York, ce savant anglican est également connu comme le pionnier de la lutte anti-esclavagiste et de l’élan missionnaire.

     Or, dès l’origine, le comité de la Société biblique va rassembler autour d’une même table des lords et des évêques, ainsi que des dissidents qui ne bénéficient même pas alors de tous les droits civiques !

     La solution n’a pas été inventée par la Société biblique. Elle avait été progressivement mise en place dans tout le monde chrétien. Les militants d’une action pieuse ou charitable pouvaient se constituer en sociétés qui organisaient leur financement et leur gestion. Dans le monde catholique, l’avenir de ces institutions dépendait du clergé qui acceptait ou non de les soutenir. Dans le monde protestant anglo-saxon ou français, le pluralisme confessionnel représentait une difficulté, celle de pouvoir réunir des courants différents. La tâche était difficile. Il était plus simple de créer une oeuvre à l’intérieur de l’Église anglicane, par exemple.C’était s’enfermer et limiter son action. Or une société qui rassemblerait les principaux courants religieux s’assurerait également, en cas de réussite, une grande autonomie et une liberté propice à l’innovation.

John Owen (1790-1846), un des fondateurs de la BFBS.

John Owen (1790-1846), un des fondateurs de la BFBS.
Cet homme d’affaires dans l’industrie textile était de confession congrégationaliste, donc «dissident».

    Dans le cas d’une société biblique, le terrain était miné. Car les mêmes Saintes Écritures qui nourrissaient la foi commune étaient aussi celles qui alimentaient les multiples controverses qui séparaient les confessions ! Voilà pourquoi l’objectif des sociétés bibliques protestantes ne pouvait être que la diffusion d’un texte sans notes ni commentaires. A chacun d’en faire sa propre exégèse et d’en tirer les enseignements pour sa vie. On retrouve dans ce choix l’essence même du protestantisme.

     Du coup, les sociétés bibliques seront consensuelles dans les Églises issues de la Réforme et pourront rassembler au-delà des Évangéliques, au sein des courants libéraux, par exemple. C’est ainsi que s’est constitué un espace commun aux protestants. Certes, plus tard, des polémiques ont menacé la vision commune, comme le débat sur les livres apocryphes, mais l’essentiel a été sauf. Le choix d’un texte sans notes ni commentaires ne pouvait, par contre, qu’irriter le catholicisme d’alors, fondé sur l’importance du Magistère. Il est entré progressivement dans une opposition systématique aux sociétés bibliques qui a duré presque un siècle.

 Des «hommes de foi» deviennent des hommes d’affaires de l’édition

     Quel type de société créer ? Il ne s’agissait surtout pas de créer une Église de plus, sous prétexte de dépasser les affrontements. Là encore, la solution existait déjà en Angleterre, à l’exemple de la Société des Traités Religieux (RTS), d’où étaient issus les fondateurs de la BFBS: pourquoi ne pas créer tout simplement une entreprise de type commercial, puisqu’il s’agissait d’édition et de diffusion ?

     Ce n’est pas un mince paradoxe. La Société Biblique Britannique et Étrangère (BFBS), support de l’expansion du Réveil et de l’élan missionnaire protestant, est une entreprise comme une autre. Ses fondateurs ont exigé que l’on n’aborde jamais, lors de ses réunions, des débats de type théologique. Ils sont même allés plus loin. Comme les formes que revêt la prière publique sont rattachées à des enjeux ecclésiaux, on n’invoquera pas Dieu à haute voix dans les séances du comité, ce qui ne manquera pas de surprendre ! C’était même tellement peu naturel qu’il faudra sans cesse rappeler la règle.

     Toujours dans la même perspective, les statuts de la BFBS sont clairs : le comité est composé en parties égales de représentants de l’Église officielle et de dissidents d’origines diverses. Pour éviter tout blocage, on y adjoint un troisième groupe, celui de pasteurs de communautés étrangères établies à Londres. N’oublions pas que l’Europe est alors en guerre, et que les réfugiés sont nombreux. Et ce qui pourrait n’être qu’un artifice institutionnel revêt immédiatement une portée prophétique : toutes les nations du monde sont symboliquement associées à la diffusion des Saintes Écritures. La nouvelle institution peut dès lors légitimement s’appeler Société Biblique Britannique et Étrangère.

 Jean-Yves Carluer

 [1] LeslieHowsam, Cheap Bibles. Ninetenth-Century Publishing and the British and Foreign Bible Society, Cambridge University Press, 2002.

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