Mai 1877 : évangélisation, répression et élections

La « République des ducs » contre l’évangélisation, 1871-1877 (suite et fin).

    Le point culminant de la crise intervient en mai 1877, période de très forte tension politique. Les hommes de progrès ont fini par imposer en 1875 l’idée d’une république qui ose enfin dire son nom, mais les monarchistes ont placé à la tête de l’État un des leurs, le maréchal duc de Mac-Mahon.

     Ce dernier entend bien mener jusqu’au bout la mission qui lui avait été confiée : occuper le siège du pouvoir dans l’attente du retour d’un roi. En 1876, les élections accordent une courte majorité aux républicains. Le 16 mai 1877, le président de la république, le duc de Mac-Mahon, entre en conflit avec le gouvernement et les députés. La situation est bloquée. Le destin de la république ne peut se régler que par de nouvelles élections législatives. Commence alors une des plus longues et des plus véhémentes campagnes électorales de notre histoire. Malgré la victoire républicaine en octobre, Mac-Mahon ne se soumettra que le 14 décembre 1877. Pendant ces 7 mois, dans un effort désespéré, le régime a multiplié les mesures visant à interdire la liberté d’expression et la diffusion de l’écrit. Les colporteurs bibliques et, dans une moindre mesure, les évangélistes en sont les premières victimes.

Campagne électorale 1877

Motif central d’un foulard de soie utilisé lors de la campagne électorale de 1877 à Paris. Les deux leaders historiques républicains, Thiers et Gambetta y sont représentés

    Dès mai 1877, le régime avait révoqué toutes les licences de colportage, toujours sous le même prétexte : couper court à la propagande républicaine. Les sociétés bibliques et évangéliques durent reprendre, une fois de plus les procédures d’autorisation. Celles-ci sont refusées au moindre prétexte. Nombre de colporteurs abandonnent. Mais la répression concerne aussi la liberté de réunion, puisque les fameux articles 291 et 292 sont « remis en pleine vigueur« [1] depuis 1875 et que l’administration a trouvé un autre moyen de pression, la patente des débits de boisson souvent associés aux locaux populaires : « Nous ne pouvions plus trouver de salles pour y prêcher, parce qu’on menaçait leurs possesseurs de leur retirer leur autorisation. Des gendarmes étaient mis à la poursuite de nos évangélistes et surveillaient leurs moindres mouvements » écrivait à l’issue de la crise le rapporteur de la Société Évangélique de France [2]. Bien entendu, les décisions du pouvoir sont relayées dans toutes les administrations : le jeune instituteur-évangéliste breton et futur pasteur Guillaume Le Coat n’est plus autorisé à enseigner et reçoit immédiatement l’ordre de se présenter au service militaire. « Dans les campagnes, le maire imposé et le juge de paix avaient mille moyens pour faire sentir leur déplaisir« [3]. Les propriétaires et les entrepreneurs, souvent monarchistes, participent à la répression : « dans les villes, la bourgeoisie, dont la classe ouvrière dépend absolument, s’était jetée dans les bras du clergé par peur du fameux péril social […] Nos chapelles étaient mises à l’index et quiconque les fréquentait était sûr de perdre son ouvrage« [4]. « Tous ceux qui viennent nous entendre sont visités, surveillés, menacés. Partout où nous prêchons, les dames [catholiques] de l’endroit se partagent les brebis égarées qu’il faut faire rentrer au bercail« [5].

     Comme c’est désormais l’habitude dans ce genre de pressions, ce sont les espaces où les efforts d’évangélisation sont les plus récents qui se révèlent les plus vulnérables. Cela concerne par exemple la Bourgogne, où la Société Évangélique de France avait ouvert un champ de travail prometteur, la Bretagne où oeuvraient les missions baptistes et méthodistes, l’Est et le Centre où travaillait la Société Centrale Protestante d’Évangélisation.

     Face à la persécution, le doute et le découragement saisissent un certain nombre de protestants, et le financement même est affecté : « les événements politiques avaient ralenti le mouvement des affaires et les collectes étaient plus laborieuses que jamais« , écrivait le pasteur Lorriaux, rapporteur de la Société Centrale Protestante d’Évangélisation en 1878[6].

    Dans ce contexte, les protestants s’engagent résolument dans le camp républicain. Le journal L’Église libre est saisi par la police en octobre pour « insulte envers Monsieur le président de la République ». Son directeur, le célèbre évangéliste Léon Pilatte s’était pourtant contenté d’appeler à voter pour les candidats républicains : « nos droits les plus chers, nos libertés civiles et religieuses, sont à ce prix« [7]. Le pasteur Auguste Fisch, pour sa part, considère que cette alliance offre même une opportunité spirituelle, face à la menace ultramontaine : « les meilleurs esprits [républicains] s’alarment. Ils comprennent que la libre pensée est incapable de résister aux assauts du fanatisme ultramontain, parce qu’il n’y a que la religion qui réponde aux besoins les plus profonds de notre être, et que l’âme humaine ne peut vivre de négations. Ils déclarent que notre pays est perdu s’il ne se tourne pas vers le protestantisme. Ils nous appellent énergiquement au secours de la patrie menacée… »[8]

    La victoire de l’automne 1877 est aussi celle des protestants et ouvre alors de grandes espérances pour les oeuvres d’évangélisation.

     Jean-Yves Carluer

[1] Société Évangélique de France, Rapport de 1876, p. 15

[2] Idem, 1878, p. 12.

[3] Idem, 1876, p. 15.

[4] idem, 1876, p. 15.

[5] Idem, 1877, p. 15.

[6] Société Centrale protestante d’Évangélisation, Rapport de 1878, p. 33.

[7] Léon Pilatte dans l’Église libre, 12 octobre 1877, p. 1.

[8] Société Évangélique de France, Rapport de 1877, p. 15.

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Une réponse à Mai 1877 : évangélisation, répression et élections

  1. GUY dit :

    Je possède un foulard de soie même facture que le vôtre intitulé  » LA FRANCE POLITIQUE » et au bas :  » ELECTIONS DU 14 OCTOBRE 1877  » représentant la France et ses colonies avec les circonscriptions : Républicains en rouge, Bonapartistes en bleu, Monarchistes en blanc. J’ai également un écusson de Léon Gambetta.
    Je suis heureux de trouver votre texte qui m’éclaire sur cette époque.
    Merci.
    Jean Georges GUY

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