14-18 : apporter l’Évangile aux soldats (1)

Distribution d’Évangiles après la bataille de la Marne

     Octobre 1914. C’était il y a exactement un siècle.

     Les « pélerins de la Bible » que nous avons suivis à travers la France au cours du printemps 1914, reviennent sur notre sol meurtri par la guerre et amputé par les conquêtes allemandes de l’été. Les évangélistes britanniques sont désormais accueillis comme des alliés, malgré les inévitables incompréhensions que suscite leur distribution systématique de tracts et de portions des Écritures…

    Nous suivons cette fois le récit du commodore Edward Salwey, capitaine de frégate britannique en retraite et pionnier des Assemblées de Frères en France.

     « La Scripture Gift Mission (SGM) me demanda de me rendre en France en son nom […] Trois semaines plus tard, à Londres, je rencontrais M. Brooks, de Nantes, qui avait été retardé dans son embarquement[…] Nous avons pu partir début octobre. […] Nous avons été gênés lors de la traversée de la Manche par le présence de sous-marins, mais le Seigneur a veillé sur nous. J’ai eu de bons contacts à bord avec mes panneaux de versets bibliques et l’Évangile.

Ruban bleu Voyageurs

Voyageurs attablés à la terrasse du Ruban bleu, devant le Bassin du roi au Havre.

    Les Brooks m’ont présenté à Mademoiselle Biolley, de l’hôtel de la Mission du Ruban bleu, où nous avons reçu un accueil chaleureux. Nous sommes partis assister à une réunion qui avait lieu au Havre ce soir-là. Je crois que c’est la première nuit où nous avons été arrêtés comme espions allemands parce qu’on nous avait vu parler à des soldats anglais.

    L’expérience du commissariat était nouvelle pour ce cher M. Brooks, tandis que j’en étais un vieil habitué et que je connaissais mieux les postes de police que la plupart des Français ! Les autorités voulurent bien comprendre la « méthode anglaise » de prédication, mais le pauvre agent qui nous avait interpellés sembla tout à fait déçu de ne pas avoir débusqué un espion allemand.

    Nous avons eu à nous expliquer devant le maire le lendemain et répondre à de nombreuses questions sur notre histoire et nos intentions. A la suite de cet entretien, il nous a accordé des laissez-passer pour continuer le travail d’évangélisation […]

    Nous nous sommes rendus à Paris pour rencontrer MM. Johnson et Dutton. Le frère Thorpe et sa femme étaient sur Paris, ce qui fait qu’avec Dutton, nous-mêmes, ainsi que Wells, évangéliste du champ de courses de Chantilly, nous avons formé une bonne équipe.

    Le premier novembre, jour de la fête des morts, nous nous sommes séparés en trois groupes pour nous rendre dans les trois principaux cimetières de Paris. Des multitudes de Parisiens endeuillés vêtus de noir affluaient au pied des tombes pour honorer leurs défunts en ce jour. J’accompagnais M et Mme Brooks. Tout ce passa bien jusqu’à ce qu’une paire de policiers irascibles ne s’offusque des textes affichés au-dessus de ma tête : « Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perdait son âme ?« [1] et « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos« [2]. Devenus comme enragés à la lecture de ces textes, ils me saisirent et me traînèrent vigoureusement à travers les rues bondées. Mais la population me sembla favorable quand je pus l’informer que je n’étais pas un espion allemand mais un sujet britannique. Jetant mes panneaux sur le sol du commissariat et me poussant brutalement dans la pièce, les agents commencèrent à vider mes poches de tous les tracts et de toute la monnaie que je possédais. Ils téléphonèrent ensuite les paroles des versets au commissariat central. Quand j’ai entendu ce coup de fil je me suis trouvé amplement récompensé de mon traitement rigoureux! Bientôt leur attention a été distraite quand une pauvre femme vagabonde a été amenée au poste, ce qui fait que j’ai pu regarnir mes poches de tracts sans être observé. J’ai été libéré, mais sans mes beaux panneaux et j’ai repris ma distribution. Quand j’ai retrouvé Brooks et sa femme, ils ont insisté pour que je retourne au commissariat réclamer mes panneaux sans aucune restriction ni censure.

     Johnson organisa peu après une tournée sur le front ou du moins aussi près que nous pourrions accéder. C’est ainsi que nous sommes partis par un temps froid vers la zone des combats. Nous avons dû souvent nous arrêter et passer des moments mouvementés à traverser des rivières alors que nombre d’hommes reconstruisaient des ponts détruits. A la gare de Meaux, les autorités militaires nous ont saisis, avec nos tracts. Ils ont accepté, après plusieurs accès de colère, que nous parcourions la ville sans rien distribuer. Après avoir confisqué nos passeports, ils nous ont intimé l’ordre de retourner à Paris par le train du soir.

    Une fois hors de la gare, je me suis aperçu que, bien que mes poches aient été vidées, celles de Johnson étaient encore pleines de tracts. Il avait promis de ne pas les distribuer, ce qui ne m’avait pas été demandé puisque je n’en avais plus. Je lui ai suggéré que nous imitions le texte de la multiplication des pains dans Jean 6 : que le maître donne à ses disciples pour qu’ils distribuent afin que rien ne se perde ! Cela réussit admirablement et nous avons rencontré beaucoup de soldats, dont quelques Anglais.

    J’ai vu alors un gendarme s’approcher, prêt à nous demander nos papiers, alors que les miens était malencontreusement restés au bureau de police de la gare. J’ai réalisé la précarité de la situation si nous étions arrêtés. Alors, faisant monter ma prière vers Dieu, j’ai saisi les mains d’un Tommy anglais et je les ai serrées vigoureusement, en criant toute ma joie de le rencontrer ! Cela réussit admirablement, et nous avons pu terminer sans encombres.

   Johnson a été interpellé à son retour vers la gare, mais il avait une carte de volontaire de la Croix rouge. Avant d’embarquer, nous avons rencontré quelques officiers anglais, au grand déplaisir du chef de gare qui tenta d’interrompre notre cordiale fraternisation. C’est ainsi que s’acheva cette journée particulièrement passionnante ».

     Ruth Salwey, The Beloved Commander, Londres, 1962, pp. 119-121.

 (A suivre)

   Jean-Yves Carluer

[1] Évangile selon Saint-Matthieu 16, 26.

[2] Matthieu 11, 28.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *