Edward Salwey, des vaisseaux de la Navy aux rues de France (1)

    Rien ne prédestinait Edward Salwey à consacrer sa vie à l’évangélisation des Français, peuple, rappelons-le, contre qui la couronne britannique se préparait à entrer en guerre à l’époque de la crise de Fachoda. Or en 1898, justement, Edward Arthur Salwey, spécialiste des torpilles, attendait sa promotion de Commander (capitaine de frégate) dans la Royal Navy[1].

La conversion d’un officier

    Edward Salwey était né le 26 mars 1865, dans l’Ile de Wight, qui ferme la rade de la grande base de Portsmouth. Depuis la nuit des temps, qui remonte sans doute à la conquête de l’Angleterre par Guillaume le conquérant, les Salwey, de petite aristocratie britannique, ont mis leur épée au service de la Couronne. Edward Salwey, fils d’un officier de Marine aux cheveux roux, sera donc un commandant tout aussi roux que son père. Il embarque comme cadet à l’âge de 13 ans. Très bien noté, doté d’un réel charisme, sa carrière progresse rapidement. Il est le boute-en-train de sa promotion de midship en 1881, où il côtoya, entre autres, le duc d’York, le futur roi George V. Il est Sub-lieutenant en 1885, Lieutenant en 1887, et Commander en 1899. Il avait épousé en 1888, Mary, fille du colonel J. Waddell Boyd. Sur le plan religieux, les Salwey étaient des anglicans sérieux, plutôt High church.

    L’événement qui changea la vie de notre commodore date de novembre 1901. Il perd brutalement un beau-frère, terrassé par une pneumonie.

Le commodore Arthur Salwey, vers 1900. En image de fond, le même Arthur Salwey, à Paris vers 1930 devant la station de métro "Porte de la Chapelle" lors d'un meeting d'évangélisation dans la rue ( Image de couverture de sa biographie, "The Beloved Commander").

Le commodore Arthur Salwey, vers 1900. En image de fond, le même Arthur Salwey, à Paris vers 1930 devant la station de métro « Porte de la Chapelle » lors d’un meeting d’évangélisation dans la rue ( Image de couverture de sa biographie, « The Beloved Commander »).

Il se alors met à chercher une réponse pour son propre au-delà. Il fréquente diverses chapelles évangéliques et se mêle aux marins dans les réunions d’évangélisation populaire des sailor’s  et soldier’s homes. Il rencontre un autre officier qui le guide dans la lecture de la Bible et il trouve la paix intérieure. Quelques jours plus tard, en mars 1902, après avoir lu un texte du pasteur baptiste F. B. Meyer, il décide de consacrer désormais sa vie au service de Dieu. De son passé aristocratique, il ne veut garder que la devise familiale : Fiat voluntas Dei, : « Que la volonté de Dieu soit faite ». Quel qu’en soit le prix !

    Edward Arthur Salwey commence donc à témoigner de sa foi toute récente autour de lui. Après divers contacts plutôt négatifs avec le clergé anglican et les aumôniers de la Marine qui ne comprennent pas sa brusque passion pour Dieu, le Commander décide de quitter l’Église d’Angleterre et de rejoindre une assemblée de « Frères larges ». Il a pensé à l’Armée du Salut, mais l’ancien officier ne goûte plus vraiment la discipline. Il témoignera partout, seul, dans l’espace public. Edward Salwey estime « qu’il est de son devoir de parler de leur âme à tous ceux avec qui il le pouvait [2]».

    Un tel activisme, taxé de fanatisme, brise sa carrière. Il est affecté au service de sauvetage maritime en Irlande, tâche qui le ravit car il se sent de moins en moins appelé à combattre. Il est finalement mis en demi-solde en 1904. Mais, en Irlande, le fougueux Commander ne tarde pas à gêner d’avantage. A Cork et à Kinsale, il rencontre sans cesse des catholiques et les entreprend sur leur religion. Pire, il commence à tenir des meetings dans la rue, jusque devant les églises d’une Irlande où gronde déjà la révolution contre l’Angleterre. Si l’Amirauté est navrée du comportement du commodore, Mary Salwey, plutôt inquiète au début, se convertit et soutient désormais son mari. Non loin de là, le Réveil au Pays-de-Galles bat son plein. Edward Salwey décide de franchir un pas de plus dans son engagement d’évangéliste. Il a fait ses calculs et pense pouvoir vivre de sa pension de retraite. Il est rayé, à sa demande, du service actif de la Navy le 31 mars 1905. La nouvelle fait le tour des journaux du monde évangélique britannique : « un Commander renonce à un traitement de 500 Livres ».

    Commence alors une période assez folle pour Edward Salwey, qui, devenu libre, a du mal à estimer les limites au-delà desquelles un témoignage trop enthousiaste peut être mal compris et devenir contreproductif. Il prend la parole pour témoigner, mais alors de façon intempestive, dans les lieux les plus divers, et est verbalisé plusieurs fois. Pendant cette période, il croise de nombreuses personnalités non-conformistes britanniques, en particulier, en 1906, Alexander Boddy, le pionnier du pentecôtisme anglais, dans sa paroisse anglicane de All Saints. Bientôt Edward Salwey estime que, pour un individualiste comme lui, le moyen le plus efficace pour attirer l’attention sur la Bible est de se transformer en homme-sandwich. Au bout de plusieurs mois, il fait la connaissance d’un autre porteur de pancartes évangéliques, John Nicholson. Ensemble, ils mettent au point des modèles plus légers et plus pratiques. Petit à petit, Edward Salwey apprend à témoigner en équipe. Il est de ceux qui inaugurent les campagnes d’évangélisation dans la rue ou sur les plages avec banderoles et drapeaux où s’illustreront plus tard les « Pilgrims Preachers » comme Ernest Luff et Percival Petters. Un de ses rendez-vous annuels est la saison d’été dans la station balnéaire de Douglas, à l’Île de Man. Il y rencontre Joseph Dutton, et les deux hommes collaborent. « Quand M. Dutton suggéra [en 1913] que je puisse visiter Paris avec mes textes, j’objectais et fis remarquer que l’oeuvre était déjà assez difficile comme cela  chez nous, et qu’elle le serait encore d’avantage à l’étranger… ». Mais Edward Salwey accepte finalement.   « Ainsi, mon épouse, ma fille et moi-même, nous avons traversé [la Manche] », écrit-il, «en janvier de cette année fatidique [de 1914]… Jamais il ne nous vint à l’esprit que notre témoignage allait être apporté dans plus de 36 grandes cités françaises, quelques mois seulement avant le déclenchement de cette terrible guerre. Mais c’était le cas, et nous sommes maintenant heureux que nous ayons décidé de nous y rendre[3] »  (A suivre…)

     Jean-Yves Carluer


[1] Sur cette partie, les sources proviennent des archives de l’Amirauté britannique, dossier ADM 196/42.

[2] Ruth Salwey, The Beloved Commander, Londres, Marshall, Morgan and Scott, 1962, p. 34.

[3] Idem, p. 103

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