Pentecôtisme, patriotisme et pacifisme en 14-18. (1)
Le sujet est peu connu, mais il a été un enjeu fondamental pour la première génération du « Réveil de Pentecôte ».
Ce débat, aujourd’hui vieux d’un siècle, a fait l’objet de plusieurs études, dues notamment à des chercheurs universitaires comme Grant Wacker[1], Jay Beaman[2] ou Zachary Tackett.
Ces trois patronymes, clairement anglo-saxons, sont à relier à une limite géographique et chronologique propre à notre étude : les belligérants d’Europe continentale, France, Allemagne, Russie ou Italie sont encore peu marqués par le mouvement religieux qui ne s’est vraiment développé qu’après le Réveil d’Azuza Steet à Los Angeles en avril 1906. Je n’ai identifié qu’un seul prédicateur français clairement pentecôtiste avant 1914. Il s’agit de Vincent Dessen (1865-1920), colporteur de la Société Évangélique de Genève, sanctionné en 1911 par son employeur pour « glossolalie » lors de réunions privées au Havre[3]. En 1914, il est évangéliste à Beyrouth et réussit à rentrer précipitamment en France et à échapper ainsi aux Turcs. Il est embauché alors comme colporteur par l’agence française de la Société Biblique Britannique qui l’affecte dans la ville du Mans. En Allemagne, le pentecôtisme était un peu plus représenté, en particulier par le pasteur Jonathan Paul qui avait été au contact dès 1906 du norvégien Thomas Barratt. Il avait organisé un petit réseau de communautés, l’Association de Mülheim, après s’être heurté à une violente dénonciation du Réveil de Pentecôte par les Évangéliques allemands dans la Déclaration de Berlin en 1909.
Le débat sur l’attitude à prendre devant la guerre a donc touché essentiellement les pentecôtistes britanniques et nord-américains lors de ce conflit. C’est ainsi qu’a alors émergé momentanément un nouveau pacifisme évangélique, après celui des Mennonites ou des Quakers, né deux ou trois siècles plus tôt.
L’entrée du monde en guerre au mois d’août 1914 semble avoir frappé les Évangéliques de stupeur. Ceux d’entre eux qui partageaient une eschatologie de type millénariste ont immédiatement pensé qu’ils assistaient à un basculement de l’histoire. Pour rester dans le cadre du groupe des évangélistes britanniques que nous avons suivis autour de la France au printemps 1914, nous pouvons retenir la réflexion de Joseph Dutton faite lors de la déclaration de guerre : » Dans mon enfance, on m’avait appris que la Bible annonçait une grande guerre européenne, et, depuis ma conversion, la simple lecture personnelle de la Bible me l’avait encore confirmé« [4].
Beaucoup d’Évangéliques semblent avoir partagé cette vision, celle d’une catastrophe qui pouvait les broyer et à laquelle ils pouvaient difficilement échapper. Les chrétiens de toute sensibilité ne pouvaient que frémir devant l’idéologie d’une minorité de va-t-en-guerre, influencée par le darwinisme socio-politique, qui voyaient dans les champs de bataille autant de lieux propres à fortifier la « race » et renforcer la nation. Si les protestants français se rallièrent globalement à l’idée d’un conflit légitime, c’est sous la forme d’une « Guerre du Droit » dont le but était de faire triompher la vertu et la morale internationale[5]. De toutefaçon, il leur était légalement impossible de faire connaître un avis divergent, et fuir la conscription était passible des tribunaux militaires avec un sérieux risque de poteau d’exécution. On ne pouvait donc refuser de porter l’uniforme. Dans le meilleur des cas, on pouvait finir par obtenir un poste non combattant comme celui de brancardier, affectation très exposée au feu de l’ennemi qui était souvent proposée aux pasteurs mobilisés.
Dans de prochains articles, nous aborderons plus précisément les débats qui opposèrent des responsables comme Franck Bartleman, Alexander Boddy, E.N. Bell ou A. J. Tomlinson. Nous suivrons les choix difficiles de jeunes d’alors qui s’appelaient Donald Gee ou Howard Carter.
(A suivre)
[1] Grant Wacker, Heaven Below, Harvard University Press, 2001.
[2] Jay Beaman, Pentecostal Pacifism, The Origin, Development, and Rejection of Pacific Belief among The Pentecostals, Wipf and Stock Publishers, 2009.
[3] La glossolalie, ou « parler en langues », est le principal marqueur de la pratique pentecôtiste.
[4] Joseph Dutton : An Evangelist’s travels, p. 112.
[5] Lire à ce sujet la thèse de Laurent Gambarotto, Foi et Patrie, la prédication du protestantisme français pendant la Première Guerre Mondiale, Labor et Fides, 1996.