Trouver des Bibles en France avant 1804

     On a beaucoup écrit sur la « disette de Bibles » qui accabla le protestantisme français au cours du XVIIIe siècle.

La Révocation de l’Édit de Nantes avait démantelé le cadre paroissial, et les huguenots, désormais voués à la clandestinité, avaient pour priorité d’échapper à la répression. Cela supposait donc de cacher et de mettre au secret les précieux Livres saints, nourriture indispensable de la foi, mais aussi menace perpétuelle d’enfermement ou de galères pour leurs détenteurs. On comprend que le stock existant de ces ouvrages ait été longtemps considéré comme suffisant, même si leur nombre était déjà notoirement limité.

     La persécution a eu tendance à se calmer progressivement, surtout à partir des années 1750. Mais, à la veille de la Révolution, les huguenots pouvaient toujours se voir enlever leurs enfants et subir toutes sortes de tribulations, en particulier dans les régions où ils étaient minoritaires.

    Les Bibles en usage dans le pays en 1790 appartenaient globalement à trois sortes de propriétaires.

     1) Citons d’abord un certain nombre de membres du clergé catholique qui disposaient de la version latine, la Vulgate, et même de traductions françaises, comme la célèbre Bible de Louvain (1548) et la version élaborée par des Jansénistes, autour de Louis Isaac Lemaistre de Sacy. Cette Bible du Port-Royal, bien que suspecte à nombre de catholiques, avait l’avantage de disposer de toutes les autorisations de diffusion (Nihil Obstat et Imprimatur). Elle pouvait donc se trouver dans la bibliothèque de notables, catholiques ou protestants, essentiellement urbains, ce qui nous amène à la deuxième catégorie.

Bible version Martin

Une Bible Martin imprimée à Berne en 1731

   2) Les bourgeois protestants des grandes villes avaient retrouvé assez d’importance pour oser paraître au grand jour, et même se rassembler autour de « pasteurs éminents », venus, par exemple, de Suisse. Ces privilégiés pouvaient acheter, fort cher, des Bibles éditées dans les pays voisins, celle dite des Pasteurs de Genève, et deux de ses révisions élaborées dans les pays du Refuge. La première avait été l’oeuvre en 1707 du pasteur David Martin (1639-1721) à Utrecht. La deuxième avait été éditée en 1744 par le théologien neuchâtelois Jean-Frédéric Ostervald (1663-1747). Ces versions, surtout la dernière, imprimée en nombre à Neuchâtel, purent pénétrer de plus en plus librement en France et alimenter les circuits de libraires.

     3) Le peuple protestant de France vivait essentiellement dans des régions rurales. Quelques agriculteurs et cadres des campagnes, un peu plus aisés que les autres, avaient réussi à conserver d’anciennes Bibles de famille. Ces dernières étaient en triste état après un siècle d’usage ou de stockage dans des cachettes improbables. S’y ajoutaient quelques vieux recueils de prédications datant du Grand Siècle. Le déficit de Bibles était criant, d’autant que les lents progrès de l’alphabétisation augmentaient le nombre de lecteurs potentiels. Le peuple protestant s’habituait à ne connaître de l’Évangile qu’une morale générale délivrée lors des sermons dominicaux par des pasteurs qui, pour la plupart d’entre eux, étaient très rationalistes.

 Les Bibles du « Réveil »

      Cette « disette de Bibles » s’estompa très timidement au tournant du XIXe siècle, avant même que la Société biblique britannique ne suscite la création de sociétés soeurs en France et en Europe, capables de se joindre à elle pour lancer d’importantes impressions des Saintes Écritures : la Société biblique de Bâle en 1804, la première Société biblique de Genève en 1814, la Société biblique de Paris en 1819.

     Nous l’avons déjà dit dans un autre article, la création de tous ces organismes s’inscrit dans un mouvement encore plus large, que l’on associe habituellement au développement du Réveil religieux en Grande Bretagne. Une société destinée à fournir des Bibles aux soldats et marins avait été fondée à Londres dès 1780. Quelques années plus tard se créait également dans cette ville une French Bible Society qui était en relation avec le pasteur parisien H. Marron. Son objectif était déjà celui qui sera commun à tous les organismes qui lui succéderont. Leur but restera inchangé: procurer des Bibles à bas prix à ceux qui étaient capables de les lire.

     Mais il est déjà bien tard, car Révolution a éclaté en France, la guerre a suivi peu après en Europe et l’Angleterre s’est jointe au conflit contre la France. Les fonds qui venaient d’être expédiés dans notre pays chez un imprimeur sont érodés par l’inflation et bientôt consumés par la faillite de ce dernier.

     Il faut attendre la première et brève période de calme sur le continent, la paix d’Amiens, signée en mars 1802 pour que la Société des Missions de Londres, qui s’est substituée à la société biblique créée en 1780, réussisse à faire imprimer en France 10.000 exemplaires du Nouveau Testament. La distribution ne passa pas par le réseau des libraires mais par un comité lié au consistoire nouvellement crée de l’Église réformée de Paris. la Société des Mission de Londres, associée à un Unitarien nommé Stone, recommença l’opération, cette fois pour 5000 exemplaire de toute la Bible en version Ostervald au cours des années 1803 et 1805.

    Mais, là encore, le contexte international jouait contre la diffusion biblique. La guerre avait éclaté de nouveau, et l’Empereur Napoléon 1er avait décrété le Blocus continental contre les Britanniques. Il fallait donc imaginer un montage légal permettant à ces Bibles et à de futures éditions de parvenir entre les mains des protestants français.

 (à suivre)

   Jean-Yves Carluer

 

 

 

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