Premier Béthel à Marseille

Novembre 1836 : une première chapelle Béthel à Marseille.

      « Les autorités m’ont donné la permission d’ouvrir un local servant de chapelle […] Elle est située sur le port et les passants peuvent difficilement manquer de la voir. Le prix de sa location est de 300 francs [or] par an, payables six mois à l’avance […] Un lord anglais, qui est aussi un clergyman très pieux, y a prêché dimanche dernier« .

C’est ainsi que le pasteur David De Forest Ely annonçait l’ouverture du premier Béthel de Marseille au comité de la Mission des marins de New-York, dans un courrier daté du 10 novembre 1836[1].

     Le pasteur Ely, dont nous avons relaté il y a peu l’arrivée dans le grand port de la Méditerranée, avait été très efficace. Sa bonne connaissance de notre langue l’a certainement beaucoup aidé. On sait qu’il avait posé ses bagages dans la cité phocéenne au début du mois de septembre et qu’il avait immédiatement contacté les correspondants locaux de la Mission, le maire, ainsi que le consul des États-Unis et les pasteurs de l’Église réformée[2]. Son journal particulier, qui a été publié à l’époque par le Sailor’s Magazine, nous décrit de façon très détaillée les différentes phases de la mise en place d’un Béthel dans un port européen.

L'entrée du Vieux port vers 1835 (gravure coloriée ancienne)

L’entrée du Vieux port vers 1835 (gravure coloriée ancienne)

    Dans un premier temps, grâce aux consuls américains et britanniques, l’aumônier naval a pris contact avec les équipages anglophones et convoqué les capitaines. Certains d’entre eux, familiers des Béthels de leurs pays respectifs, avaient déjà été avertis du projet d’implantation à Marseille. Le pasteur avait également célébré des cultes dominicaux sur les navires au mouillage, selon le modèle fondateur de 1817 issu des réunions tenues sur les bricks charbonniers de l’avant-port de Londres. Il avait également commencé les visites aux marins malades dans les salles protestantes de l’hôpital.

     Le consul des Etats-Unis lui conseilla, le 26 septembre, de demander au consistoire réformé l’usage du temple protestant pendant quelques dimanches. C’était l’habitude, à la demande du consul britannique, quand des pasteurs anglais venaient visiter la ville. Déjà quelques résidents anglophones le pressaient afin de pouvoir l’écouter sans l’inconvénient de s’aventurer en chaloupe. David Ely prêcha au temple l’après-midi des 2 et 9 octobre, et préféra ensuite alterner l’usage de l’édifice de la rue de Grignan et les trois-mâts anglais ou américains, en particulier le Graton, du capitaine Hunt.

     Mais pour ancrer durablement l’oeuvre à Marseille, il fallait aller plus loin et disposer d’un local non loin des quais. Cela urgeait de plus en plus, car un froid automnal s’était installé sur la ville, devenant rigoureux en novembre, à l’étonnement du pasteur qui escomptait un climat plus clément. La neige s’était mise à tomber le 29 octobre.

Emménager…

     « Dès qu’il a été décidé d’ouvrir un local, j’en ai demandé l’autorisation aux autorités« . En fait la procédure a été un peu compliquée : le maire a transmis la demande au préfet qui, de son côté, a déposé la décision entre les mains du consistoire réformé de Marseille. La réponse ne pouvait être que positive d’autant que, cette année-là, le premier pasteur et président de consistoire de Marseille était le célèbre évangéliste Napoléon Roussel. David Ely pouvait donc poursuivre :  » l’autorisation a été signée par le maire et enregistrée chez un notaire« . Restait à trouver les fonds nécessaires.

     » Nous avons fait circuler deux listes de souscriptions, une pour les résidents et l’autre pour les marins« . Le pasteur Ely a rapidement trouvé la location désirée et a commencé à l’aménager. Il a été soutenu dans son projet par quelques ecclésiastiques anglo-saxons qui passaient par Marseille cet automne-la : citons le pasteur américain Robert Breckenridge et surtout le jeune pasteur Révérend Lord Arthur Charles Hervey. Lord Hervey (1808-1894), quatrième fils du marquis de Bristol, fit une grande impression sur l’aumônier des marins américains. Le futur évêque de Bath n’avait alors que 28 ans. Il allait devenir plus tard une personnalité connue de l’Église d’Angleterre, de tendance évangélique. C’est ce qu’avait entrevu David Ely : « un très jeune gentleman, très élégamment vêtu, me fit demander un peu après la tombée du jour, et se présenta lui-même avec [beaucoup] de modestie, comme un ecclésiastique. Il était en route pour l’Italie, et, ayant entendu parler de mon oeuvre, il désirait faire une petite visite à notre chapelle et s’enquérir s’il pourrait prêcher le dimanche suivant. Notre conversation prit un aspect spirituel où il montra une âme pieuse, très avertie des Saintes Écritures et bien au fait de la connaissance du coeur humain. Après cette conversation assez longue, il me laissa un Napoléon [20 francs or]. Il s’apprêtait à partir quand je lui demandai s’il pouvait me laisser une carte de visite afin que je puisse le joindre. Il était un peu embarrassé en me la donnant et il tourna la partie imprimée vers le sol afin que je ne puisse pas lire son nom. Je la serrais contre mon manteau afin de ne pas le gêner[…] J’ai seulement regardé la carte à mon retour, et je ne fus pas peu surpris de lire […] Rev. Lord Arthur Hervey[3].« 

     Début novembre 1836, le Béthel était prêt :

     « Notre local est au premier étage, selon les habitudes de ce pays […] Il mesure 9 mètres sur 12, une petite partie est occupée par l’escalier dans un des coins. Il a été meublé avec soin d’un petit pupitre, de chaises et de lampes. Une hampe est fixée de façon permanente [dans la rue]en diagonale sous une des fenêtres de la pièce. On y attache un drapeau Béthel chaque dimanche ainsi qu’à l’occasion des réunions religieuses. » Le pasteur Ely fournit ultérieurement dans son rapport le détail du mobilier et du budget d’équipement : deux fenêtres vitrées à 72 francs, 74 chaises à 2 francs, deux luminaires, des planches d’estrade pour18 francs, un pupitre à 43 francs, une petite table et même un escabeau pour allumer les lampes. L’ensemble avait coûté 492 francs, somme immédiatement couverte, ou presque, par divers dons.

(A suivre)

     Jean-Yves Carluer

[1] The Sailor’s Magazine, mars 1837, p. 222.

[2] Pierre Guiral reproduit la lettre expédiée le 25 août 1836 par David Ely au maire de Marseille, Maximin Consolat, dans son étude « Profil du protestantisme marseillais au XIXe et au XXe siècles », Actes du colloque « Cinq siècles de protestantisme à Marseille et en Provence« , tenu à Marseille en mai 1976, Marseille, 1978, p. 115).

[3] Un remarquable portait de Lord Arthur Hervey par Henry Richard Graves est mis en ligne sur le site de la National Art Collection. Je ne peux le reproduire faute d’en avoir les droits, mais le lecteur pourra le consulter sur http://www.bbc.co.uk/arts/yourpaintings/paintings/lord-arthur-hervey-18081894-10633

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