Le Havre 1838-1840 : Réveil et projets

     Nous avons laissé le pasteur E. N. Sawtell au Havre, rassuré sur l’avenir du Bethel, l’œuvre des marins dans la ville. Les résultats impressionnants de sa tournée de levée de fonds en Grande Bretagne n’étaient pas passés inaperçus à New-York ou l’American Sailor’s Society se débattait toujours dans des soucis financiers. Rien d’étonnant donc à ce que cette société veuille le rappeler au siège central à Manhattan.

     C’est ce qui ressort des archives de l’institution : « L’état déprimé de nos finances avait poussé le comité à croire en la nécessité d’appointer quelque personne au poste de secrétaire financier de la société comme membre permanent du bureau et de l’affecter à plein temps à la collecte de fonds. A la suite de multiples délibérations, notre aumônier au Havre, le révérend Sawtell, fut nommé à ce poste en novembre dernier (1837) et nous avons pris des mesures pour lui trouver un successeur sur place. Mais au moment même où cette décision a été connue là-bas, les résidents réagirent vivement, alarmés à l’idée de voir partir un pasteur auquel ils s’étaient attachés et dont le ministère au milieu d’eux était au dessus de l’ordinaire et se montrait singulièrement béni. Plus d’une centaine de personnes signèrent une pétition, implorant le comité de permettre à M. Sawtell de rester parmi eux… »[1].

     Le comité new-yorkais se rangea finalement au vœux des Havrais qui conservèrent leur aumônier. Tout au plus fut-il convenu que le pasteur Sawtell se rendrait quelques mois en Amérique en 1840 pour organiser une levée de fonds. Ce dernier accepta. Il avait sans doute déjà en tête un projet plus large : profiter de l’occasion pour financer la construction du lieu de culte digne de ce nom dont ses prédécesseurs avaient rêvé au Havre !

 L’aumônerie des marins devient une assemblée évangélique internationale !

      Eli Sawtell resta donc au Havre au cours des trois années suivantes, élaborant peu à peu une véritable vie d’Église dans le cadre du Béthel portuaire.

     Il en décrit la mixité sociale dans un courrier écrit le 14 mai 1838 : « Aux regards des observateurs, c’est un assemblage de communiants de presque toutes les dénominations chrétiennes, venant de bien des nations, et unis par des liens qui n’ont rien de terrestres ; ils sont dissemblables dans leur allure, leur costume, leur activité, leur langue. [Pourtant] presque tout manifeste la ressemblance morale qu’ils portent au Christ, la Tête vivante [de l’Église]. On peut y voir le paroissien de l’Église d’Angleterre et le dissident – le Presbytérien et le Wesleyen – le Baptiste et le Morave assis l’un à côté de l’autre à la même table […] Côte à côte se trouvent le maître et le serviteur, le capitaine qui commande et le matelot qui obéit. On y voit un marin charbonnier, membre de l’Église wesleyenne, recevoir la coupe de la main délicate d’une dame de la haute société, membre de l’Église épiscopalienne de New-York.

Rev Thomas Dick

Thomas Dick (1774-1857), pasteur et astronome. C’est au retour d’un voyage en France qu’il fit escale au Béthel du Havre en 1838. Wikipédia commons

    Je regardais à une extrémité de la table et [y remarquais] le pieux et talentueux écossais, le Dr. Dick[2] […] A l’autre extrémité se trouvait un humble garçon de cabine afro-américain« [3].

     La description que fait le pasteur Sawtell de sa communauté donne quelques indications sur la façon dont elle s’est constituée : on y voit des marins américains ou britanniques qui constituent le noyau initial du Béthel, rejoints par des résidents anglophones havrais, comme nous le savions déjà, mais aussi par des passagers en escale ou en attente d’embarquement dans le port de la Manche. On notera également qu’il nous présente une communauté intégrée racialement à l’occasion, ce qui est remarquable pour l’époque.

     L’aumônier des marins a réussi à engager des résidents havrais dans l’œuvre commune, en particulier des dames « de haut rang, quittant leur siège pour héler à la porte des groupes de rudes individus, les accueillir et chercher pour elles-mêmes d’autres places, souvent dans des endroits moins confortables du local. Cela ne semble pas gêner d’autres dames du même rang social, au milieu desquelles les marins peuvent choisir de s’installer […] J’ai souvent vu ces femmes quand j’entrais dans la chapelle, se déplaçant au milieu des marins, semblables à des anges, distribuant des livres ou des tracts, donnant des conseils ou se répandant en gentillesses…« .

     Une telle assemblée, présentée par son pasteur comme idéale, ne pouvait que croître… Le besoin de locaux adaptés n’en était que plus pressant !

Jean-Yves Carluer

[1] Eli N. Sawtell, Treasured Moments, p. 89.

[2] Thomas Dick (1774-1857), pasteur et scientifique écossais, enseignant à l’Université d’Edimbourg, membre de la Société royale d’astronomie britannique. Il devint très célèbre comme vulgarisateur scientifique, associant sa foi avec les découvertes de son temps. C’était également un fervent abolitionniste. L’explorateur et militant antiraciste David Livingstone estimait que l’ouvrage de T. Dick, Philosophy of Future State, était celui qui l’avait le plus inspiré après la Bible.

[3] The Sailor’s Magazine, août 1838, pp. 481-483

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Une réponse à Le Havre 1838-1840 : Réveil et projets

  1. Merci pour cet article, se sont de très bon conseils

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