Ces femmes qui distribuaient des Bibles…

Ministères oubliés : les dames des associations bibliques.

     Les associations et sociétés bibliques féminines ont été le fer de lance de l’extraordinaire expansion de la diffusion des Écritures en Grande-Bretagne, mais aussi en France, tout au début du XIXe siècle.

    Près de 350 de ces sociétés ont été créées de l’autre côté de la Manche de 1816 à 1819. Charles Dudley, le promoteur de ces associations bénévoles, estimait qu’à cette date, plus de 10.000 femmes étaient déjà engagées dans la distribution biblique1. Leur contribution représentait près de la moitié des Bibles vendues en Grande Bretagne vers 1850.

    Il s’en faut de beaucoup que leur part ait été la même en France. Nos traditions culturelles et religieuses y apportaient un frein. La Société Biblique de Paris avait pourtant essayé de favoriser au maximum l’engagement féminin. Des associations bibliques de dames se mirent progressivement en place mais ne dépassèrent jamais plus du dixième des sociétés.

     Nous présentons ci-dessous en pièce jointe un document essentiel. En avril 1825, le processus de création de sociétés auxiliaires féminines venait de débuter. « Il y a un an, soulignait alors le rapport général, la pensée d’une société biblique de femmes effarouchait en quelque sorte les esprits »2. Il n’y avait encore en 1825 qu’une poignée d’associations de dames, toutes situées dans la France du Nord. La plupart étaient de taille réduite : Asnières-les-Bourges, Lemé, Marsauceux, Sancerre, Essonne… Par contre, celle de Paris était importante : 20 trésorières, 10 adjointes, 66 collectrices. Une autre société de dames venait de se créer à Besançon et Montbéliard. Elle promettait également de rassembler des effectifs assez larges : près de 300 personnes s’y inscrivirent effectivement dès la première année. Les environs du Pays de Montbéliard avaient eu un rôle pionnier dans la diffusion biblique sous la présidence des pasteurs Scharffenstein et Miroglio, les contributeurs y étaient nombreux, le réseau des sociétés branches était dense.

Le comité de la Société de Paris, confiant dans l’avenir, imprima dans son bulletin mensuel le règlement intérieur des femmes de Montbéliard. Il devait servir de modèle aux autres associations de dames en formation.

Une autonomie limitée…

En découvrant ce règlement, le lecteur ne peut s’empêcher de remarquer à quel point il est marqué par une approche juridique, probablement très masculine, du fonctionnement associatif. Il applique jusqu’au niveau de chaque quartier le modèle pyramidal propre aux sociétés bibliques. Je doute fort que l’association biblique des femmes de Montbéliard ait pu appliquer concrètement un règlement aussi lourd. Une telle rigidité répondait, me semble-t-il, à plusieurs contraintes : il fallait sans cesse que les associations bibliques prouvent leur légitimité et leur sérieux devant les pouvoirs publics. Quoi de plus officiel qu’un règlement intérieur touffu ? Il fallait aussi rassurer les hommes, à commencer par les pasteurs, qui craignaient sans doute d’être débordés. On avait donc fixé des limites à l’autonomie de ces dames. Les temps n’étaient pas encore à la mixité. L’indice le plus évident se vérifiait tous les ans lors de l’assemblée générale de Paris. Les rapports généraux signalent, année après année, que l’on y réserve, fort galamment, les premiers rangs aux dames. Mais cela ne venait à l’idée de personne qu’on puisse en mettre au moins une sur l’estrade derrière le bureau !

Société biblique de femmes

Une visite chrétienne. Illustration du traité « Un séjour au village », Société des Traités Religieux de Paris. Ed. 1851.

    Malgré toutes ces limites, qui sont celles d’une époque, je crois néanmoins que nombre de protestantes ont découvert avec satisfaction, du moins au début, un modèle qui les valorisait, soulignait leur autonomie et leur donnait la possibilité d’organiser elles-mêmes, pour la première fois dans les milieux issus de la Réforme, un ministère uniquement spirituel. Avant de passer au document, juste une anecdote, datant de cette même année 1825. « Une des femmes du comité [de Paris], cherchant à recueillir des souscriptions, entra un jour, sans se faire connaître chez une personne […] qui était dangereusement malade, couchée sur son lit et entourée de ses enfants. L’inconnue expliqua seulement qu’elle était venue recueillir des souscriptions pour la société biblique […].

Elle fut plus d’une année sans entendre parler de la personne malade. Au bout de ce temps, cette même personne qui était alors guérie […] raconta la visite qu’elle avait reçue […], fit une description très exacte de la figure qu’elle avait vue près de son lit et dit : « Depuis lors, tous mes enfants sont entrés dans des associations ; on me l’a proposé ; je désire beaucoup d’y prendre part, mais je me suis promis de n’entrer que dans l’association de cette femme dont je ne sais le nom, que je n’ai jamais revue, mais qui est venue me parler de la Bible près de mon lit de mort« 3.

On trouvera ci-après le règlement annoncé4 :

Règlement pour la Société biblique de femmes établie en la ville de Montbéliard.

Art. 1er. Il sera formé à Montbéliard une association biblique de femmes, qui prendra le nom de Société branche de la Société auxiliaire de cette ville. Son but sera de contribuer à répandre exclusivement parmi les chrétiens protestants de Montbéliard les Saintes Écritures, sans notes ni commentaires, dans les versions reçues et en usage dans leurs Églises.

Art. 2. La direction de cette Société branche sera confiée à un comité de vingt dames, formé ainsi qu’il sera dit ci-après. Elles choisiront dans leur sein quatre secrétaires, rééligibles après chaque année, et dont les fonctions alterneront de trois mois en trois mois. Elles pourront aussi, si elles le jugent à propos, élire un secrétaire-adjoint, pris parmi les membres de la Société auxiliaire de Montbéliard.

Art. 3. Le comité de cette dernière société nommera, pour la première fois, les dames qui devront composer celui de l’Association ; mais à l’avenir, et lorsqu’il y aura une place vacante dans ce comité , elle sera au choix des dames qui le composent.

Art. A. Le comité sera formé de dames prises, en nombre double, dans chacune des dix sections de la ville de Montbéliard. ( Suit la désignation nominative de ces quartiers).

Art. 5. Il sera formé, dans chacune de ces dix sections, autant de petites Associations qu’il y aura de femmes, au nombre de vingt au plus, de toutes les conditions et tous les âges, qui voudront en faire partie.

Art. 6. Tout membre de l’association s’engagera à payer, au commencement de chaque mois, une souscription qui ne sera pas moindre de cinq centimes.

Art. 7. Le Comité des dames nommera dans le sein de chaque Association deux collectrices, amovibles tous les ans, qui recueilleront de concert les souscriptions.

Art. 8. On souscrit sans condition, ou à la réserve d’obtenir soit la Bible, soit le Nouveau-Testament au prix coûtant, ou à prix réduit.

Art. 9. Le Comité, sur le rapport des dames de la section, fixe ce prix réduit, et autorise même la distribution purement gratuite des Livres saints, dont un dépôt lui sera confié.

Art. 10. Les collectrices de chacune des Associations recevront un livret pour y inscrire les noms de leurs membres, et le montant des souscriptions acquittées. Ce livret portera le sceau de la Société auxiliaire de Montbéliard, et la signature de son trésorier.

Art. 11. A la fin de chaque mois, les souscriptions sont versées par les collectrices entre les mains de celle des deux dames, représentant au comité la section qu’elles habitent, qui leur sera désignée.

Art. 12. Celles-ci auront pareillement un livre de compte, dans lequel seront inscrits les deniers qu’elles auront reçus des collectrices, ainsi que les Livres saints qu’elles auront demandés, et leur emploi. Ce compte sera réglé, à la séance mensuelle du comité, avec la dame secrétaire en fonction, qui est chargée de verser au commencement de chaque trimestre, dans la caisse de la Société auxiliaire de Montbéliard, les sommes qui leur auront été remises pendant le trimestre précédent.

Art.13. A la même époque, la dame secrétaire en fonction réglera le compte du dépôt de Bibles avec le président de la Société auxiliaire, et lui fera connaître les travaux de la Société branche.

Art. 14 et dernier. L’assemblée du comité aura lieu chaque dernier jour du mois, depuis 2 heures jusqu’à 4 heures de l’après-midi, chez la dame secrétaire en fonction, qui le présidera et rédigera ou fera rédiger le procès-verbal des séances ».

     Et voici le texte de la circulaire d’invitation qui l’accompagnait :

« Le Comité de la Société biblique de Montbéliard a l’honneur de vous adresser, par notre organe, le règlement pour la Société biblique de femmes qu’il a le dessein de former dans cette ville; il ose se flatter, Madame, que vous ne demeurez pas étrangère à cette bonne oeuvre, qui formera le complément des travaux auxquels il se livre, sans relâche et avec quelque succès, depuis cinq ans. Un commissaire pris dans son sein se présentera chez vous sous peu de jours, afin de connaître la détermination que vous aurez prise. Puisse-t-elle être d’accord avec nos vœux ! »

 Jean-Yves Carluer

1 Sarah Lane, « Forgotten labours : Women’s Bible Work and the BFBS », Sowing the Word, Sheffield Press, 2004, p. 54.

2 Rapport annuel de la Société Biblique Protestante de Paris, 1825, p. 102.

3 Idem, p. 95-96.

4 Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, avril 1825, p. 183-185.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *