La Bible au bagne (2)

L’Évangile à Rochefort (1820-1825)

     Les forçats de Rochefort étaient considérés comme les plus mal lotis des condamnés.

    Ce bagne avait la réputation d’économiser sur la nourriture et d’exposer les « galériens » au danger, en particulier quand ils devaient hâler les coques de navires vers l’embouchure de la Charente, au risque de violents rappels de force des cordages sur lesquels ils devaient s’arc-bouter. Des protestants avaient échoué là, originaires du sud-ouest de la France pour la plupart. Quelques larcins avaient fait d’eux des compagnons de misère à la façon de Jean Valjean.

Bagnards à Rochefort

Bagnards à Rochefort (lithographie reproduite dans Maurice Alhoy, Les bagnes Rochefort, Paris, 1845).

     Ils ne représentaient pas une proportion importante du bagne, mais ils étaient assez nombreux pour se connaître, mais sans, bien sûr, pourvoir se retrouver ensemble.

     Dès que la Société Biblique de Paris décida dès 1820 de faire distribuer des Bibles aux forçats, le pasteur Rang, de La Rochelle, se chargea de cette tâche.

     Deux ans plus tard, une correspondance adressée au comité parisien témoignait de l’impact des premiers exemplaires des Écritures :

« Vous désirez sans doute connaître le sort de ces « missionnaires silencieux », selon l’expression de notre premier rapport. Voici, Messieurs, ce que nous écrit à cet égard M. Martin fils [1], qui a été chargé au nom de la Société de Bordeaux de visiter les Églises de la Charente-Inférieure[…] . Les travaux de M. Martin ont puissamment contribué à l’introduction de l’enseignement mutuel dans notre patrie; aujourd’hui il ne met pas moins de zèle à propager la cause biblique : quelle carrière a droit à plus d’hommages ? [2]

«Je sollicitai, dit-il, et j’obtins la permission de voir en particulier les galériens protestants, pour m’assurer si les distributions qu’on leur avait faites des divins livres avaient produit quelques heureux fruits. Tous ceux qui avaient reçu des Bibles les possédaient encore, et les lisaient assidûment, surtout pendant le jour du repos. Les prisonniers qui ne savaient pas lire se réunissaient aux prisonniers plus instruits pour écouter la lecture sainte, que ces derniers faisaient à haute voix […] Je les exhortais à détester leur conduite passée et à implorer le pardon de ce Dieu plein de miséricorde qui fait grâce au pécheur qui s’amende, et qui croit au nom de Jésus qu’il a envoyé, je voyais des larmes de componction, et j’espère même de repentir, couler de leurs yeux […] Je n’eus pas besoin de les engager à persévérer dans la lecture de la parole sacrée; ils me dirent qu’ils trouvaient dans cet acte religieux trop de douceur pour l’envisager comme un devoir ; c’était pour eux un véritable plaisir. L’un d’eux, natif de Sainte-Foix [3], ajouta même qu’il ne pouvait trop remercier les personnes dont le zèle charitable l’avait rendu possesseur d’une Bible; que la lecture de ce précieux livre faisait, dans son infortune, son unique consolation, et que son plus grand désir était de le voir entre les mains de tous les prisonniers.

Un commissaire de la Marine impressionné

L’autorité supérieure du bagne eut la bonté de m’assurer, lorsque j’eus pris congé des détenus, qu’il y avait une différence remarquable entre les forçats protestants et les autres forçats; que les premiers étaient généralement plus dociles et plus appliqués à leurs devoirs, et que leur conduite morale était beaucoup plus régulière. On ne doute pas que cette différence ne doive être attribuée en grande partie à l’instruction religieuse que les protestants puisent dans la lecture et la méditation des Saintes Écritures » [4].

     Le rapport du pasteur Martin fils était-il trop enthousiaste ? Il ne le semble pas. Trois ans plus tard, l’administration du centre pénitentiaire est toujours aussi convaincue de l’influence positive de la lecture de la Bible. C’est ce qui apparaît lors de la visite d’Augustin de Staël à Rochefort :.

« Le commissaire du bagne [5] a non seulement distribué des Bibles aux forçats protestants, mais offert de les réunir dans une chambre à part toutes les fois qu’un pasteur voudrait venir leur adresser des exhortations religieuses » [6] .

Les Bibles distribuées avaient préparé la voie à l’établissement d’une aumônerie protestante, chose tout à fait étonnante dans un bagne de la Marine en 1825 !

 Jean-Yves Carluer

[1] François Martin, né en 1792 , désigné comme « Martin fils » pour le différencier de son père (1757-1838) qui portait le même prénom et avait été le restaurateur du protestantisme officiel à Bordeaux (voir R. Castanet, « les pasteurs Martin » in Patrick Cabanel, Itinéraires protestants en Languedoc du XVIe au XXe siècle, Presse du Languedoc, 2000).

[2] La société biblique rend hommage à Martin fils au moment même ou ce dernier, connu comme revivaliste, devait démissionner de sa charge de pasteur à Bordeaux. Martin fils s’engagea désormais dans l’œuvre d’alphabétisation qu’il avait initiée et deviendra secrétaire de la Société d’Encouragement pour l’Instruction Primaire parmi les Protestants de France. L’apprentissage de la lecture est le complément évident de la diffusion biblique (Se reporter aux travaux d’Anne Ruault sur ce sujet).

[3] Probablement Sainte-Foy-La-Grande (Gironde).

[4] Société Biblique Protestante de Paris, Rapport de 1822, p. 50-52.

[5] Sans doute Jacques Christophe Millet, commissaire de la Marine, auteur d’un Mémoire sur le bagne du port de Rochefort.

[6] Lettre d’Auguste de Staël au comité de la Société biblique, 14 novembre 1825. Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, 1825, p. 144.

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