Octobre 1854 : un sailor’s home ouvre à Marseille

La première « maison des marins » française (1)

    Nous avons quelque peu suivi, dans un article récent, l’équipée italienne de l’aumônier des marins américains de Marseille. Il s’était porté de l’autre côté des Alpes pour y distribuer des Bibles. Si le Révérend George Hastings avait pu si aisément quitter en 1848 sa charge auprès du Vieux port, c’était sans doute parce que les matelots venus du Nouveau Monde y étaient devenus rares à cause de la crise économique. Mais il y avait une autre raison.

    En ce milieu du XIXe siècle, la puissance britannique est à son apogée. C’est particulièrement vrai sur le plan économique. Dans le domaine spirituel, la très officielle Église d’Angleterre dispose des moyens nécessaires pour établir des chapelains chargés d’encadrer les résidents et voyageurs britanniques des grandes villes européennes. Les consuls anglais ajoutent à leurs autres fonctions celle de gérer les affaires matérielles des congrégations anglicanes locales.

    C’est justement le cas à Marseille où un chapelain consulaire entre en fonction au milieu du siècle. Les plus anciennes archives de ce qui est devenue la paroisse All Saints de la cité phocéenne remontent à l’année 1849, selon Amanda Haste, qui a retracé l’histoire de cette communauté d’expatriés[1].

    Le chapelain britannique recueillit tout naturellement la charge du Béthel local, selon les accords habituels entre Églises anglophones.

    Les liens avec la Mission de New-York n’étaient pas coupés, puisque les Américains continuaient de subventionner l’œuvre locale auprès des marins. Leur journal, le Sailor’s Magazine, continua, quelques années encore, de donner des nouvelles du Béthel de Marseille.

Le pasteur (Mickaël) John Mayers

Le pasteur (Mickaël) John Mayers

    Le chapelain consulaire en poste alors à Marseille était un homme actif et plein de ressources. Michaël John Mayers naquit dans une famille de confession israélite. Il entreprit des études de théologie après sa conversion au protestantisme et fut consacré au ministère à Dublin en 1827[2]. Son premier poste semble avoir été celui de chapelain colonial en Tasmanie, au sud de l’Australie. C’est là que naît son fils William Frederick Mayers (1831-1878) qui deviendra plus tard un sinologue réputé, après avoir fait ses études à… Marseille[3]. Mais, entre-temps, le Révérend Mickaël John Mayers était rentré en Angleterre. Il est nommé curate d’une paroisse du Suffolk en 1842. Sa carrière antérieure de chapelain colonial, où il côtoyait les marins pendant les longs mois de traversée dans les mers du sud l’a certainement porté à s’intéresser aux gens de mer et à se rendre bientôt dans le grand port du sud de la France.

Pour les marins…

    Un des premiers projets de John Mayers à Marseille est d’y établir un sailor’s home comme ceux qui commencent à se répandre dans tout l’Empire britannique. Bien plus qu’un Béthel traditionnel, c’est tout un cadre de vie pour les marins, où ils sont logés, nourris, désaltérés (au thé et à la tisane d’Eucalyptus), mais aussi formés professionnellement pour un shilling par jour. Le sailor’s home abrite, bien entendu, des locaux de conversation, de réunions ou de culte, ainsi qu’une bibliothèque. Les marins qui le désirent peuvent ainsi échapper à la précarité et aux plaisirs frelatés des arrière-ports. L’institution des sailor’s homes a constitué un progrès social majeur de la condition maritime. Nous les avons présentés sur ce site.

    Ouvrir un tel établissement représente un investissement considérable. Où trouver l’argent ? John Mayers embarque pour l’Amérique afin de plaider sa cause. Le rapport de la Mission des marins de New-York pour l’année 1854 atteste de sa réussite : « M. Mayers a visité les Etats-Unis et a pu ouvrir un sailor’s home avec l’aide financière qu’il y a obtenue« . L’établissement ouvre ses portes en octobre 1854. Juste à temps.

    Les quais de Marseille retrouvent une activité d’ampleur exceptionnelle entre 1854 et 1856. La France, alliée au Royaume-Uni et au Piémont, prétendant défendre la liberté de navigation dans le détroit du Bosphore, est entrée en guerre contre la Russie. Les principales opérations militaires se déroulent en Mer Noire et tout particulièrement dans la péninsule de Crimée. Des centaines de milliers de soldats s’embarquent. Marseille devient la plaque tournante de la logistique impériale française. Les navires affluent.

    « La maison marche de façon très satisfaisante et répond entièrement à mes attentes », peut bientôt écrire le Rév. Mayers. « L’établissement a été plein les trois dernières semaines. Il est tout à fait évident, même pour les plus incrédules, que notre entreprise produit beaucoup de bien, par la grâce de Dieu. Son premier effet est d’éloigner les hommes des débits d’alcool, ces lieux d’iniquité et de perdition, et de les mettre au contact des voies et des ordonnances de la Grâce de Dieu. Tous les gens de mer qui sont logés dans la maison assistent le dimanche au service du culte« [4].

(A suivre)

 Jean-Yves Carluer

[1] Amanda Haste, All Saints et les marins: L’histoire de “l’Église anglaise” à Marseille, Marseille, 2015.

[2] Missionary register, 1827, p. 400.

[3] Voir sa notice dans le Oxford Dictionary of National Biography.

[4] Lettre reproduite dans The sailor’s Magazine, juin 1855.

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