Les Bibles des enfants

Les premières associations bibliques de jeunes protestants.

     La distribution d’exemplaires de la Bible aux plus jeunes, réalisée de plus en plus systématiquement à partir de 1820, marque sans doute une inflexion majeure dans l’histoire du protestantisme française.

La norme, jusqu’alors, était l’usage de l’unique et précieuse Bible de famille, quand il y en avait une, ce qui ne concernait qu’une minorité de protestants, dramatiquement faible dans certaines régions. Les plus jeunes y avaient accès pour y apprendre à lire, toujours dans le cas des plus favorisés. Elle ne leur était ouverte ensuite que pour les cultes de famille.

    Trois facteurs changèrent la donne au début du XIXe siècle : l’abaissement des coûts d’impression, la création des sociétés bibliques, et, enfin, le développement de l’alphabétisation. Nous ne nous attarderons pas sur cet aspect, pourtant fondamental. Je renvoie le lecteur aux travaux de ma collègue Anne Ruolt[1]. Les progrès de la distribution biblique et de la scolarisation avancent de pair. Or les protestants français sont pionniers dans la mise en œuvre de méthodes d’alphabétisation de masse comme celle dite de l’Enseignement mutuel.

    On ne s’étonnera donc pas de la mise en place rapide d’institutions bibliques destinées aux enfants et aux jeunes. Elles se développent parallèlement à la mise en place du réseau des sociétés auxiliaires. Celles-ci, dans bien des cas, hébergent des associations bibliques consacrées à la jeunesse. Là encore, d’ailleurs, le modèle vient des contrées protestantes du nord, Grande-Bretagne, pays scandinaves et Allemagne.

Les semailles d’un futur Réveil

Châtillon-sur-Loire temple

Le temple réformé de Châtillon-sur-Loire. Rebâti à partir d’une ancienne grange, c’est pendant ces travaux que le pasteur Rosseloty créa la société biblique locale de jeunes gens.

   Parmi les pionniers français de ce mouvement, citons Jacques Paul Rosselloty[2]. Ce pasteur était alors en charge d’une petite paroisse, isolat protestant dans le Loiret, Châtillon-sur-Loire. C’était un passionné de pédagogie. Il avait été nommé membre correspondant de la Société pour l’Instruction Élémentaire en février 1819[3]. Il créera bientôt son propre pensionnat pour jeunes gens à Châtillon-sur-Loire, fondera un orphelinat protestant à Orléans et suscitera une éphémère École normale dans cette ville.

    Les courriers qu’il adresse dès 1822 au comité de la Société biblique de Paris sont très instructifs :

     « La parole de Dieu se propage avec fruit dans ma petite Église, où il n’y avait pas peut-être trois Bibles il y a cinq ans. Depuis l’établissement de l’école mutuelle, la plupart des enfants possèdent « des Nouveaux Testaments, et il règne entre eux une grande émulation pour lire la parole du salut. Le dimanche, l’exercice de l’après-midi est particulièrement consacré à faire chercher, lire et expliquer, par les enfants eux-mêmes, des passages qu’ils ont parcourus dans la semaine et qu’au temple je leur demande, au hasard ; ils ont une rare sagacité pour les trouver : les remarques qu’ils font me suggèrent souvent d’utiles réflexions, et je vois avec grand plaisir que, par la bénédiction du Seigneur, ces exercices religieux sont maintenant suivis par beaucoup de parents, tandis que, dans le commencement, je n’avais que les enfants. Mais ce qui me comble de joie et me donne l’espoir de voir, dans quelques années, revivre le culte domestique par l’Écriture sainte, c’est l’institution suivante qui, sans doute, excitera l’émulation et en fera naître d’autres dans cette église.

    A l’exemple des élèves de M. Gerwein, maître d’école à Altona[4], les enfants de l’école mutuelle ont formé il y a deux mois une petite Société biblique ; ils fournissent un ou deux liards[5] par semaine, et ont pour but de donner :

« 1° Dans le temple, à chaque bénédiction de mariage, une Bible aux nouveaux époux ;

« 2 ° A l’école, un Nouveau Testament à chaque enfant qui sera dans le besoin, et qui se rendra digne, par son application et sa bonne conduite, de recevoir ce don précieux.

    Je craignais d’être contrarié par les parents, mais il n’en a rien été. Comme les enfants prennent ce liard sur leurs petites épargnes, ce sacrifice les excite à travailler pour gagner la médaille le samedi et recevoir une récompense de leurs parents. Les nouveaux mariés, pour peu qu’ils en aient les moyens, se font aussi un plaisir de grossir de leurs offrandes le petit trésor de la Société. Ainsi, avec le temps, nous seront sûrs que la parole de Dieu « sera dans tous les ménages.

    La première fois, depuis cette petite institution, que j’ai béni un mariage et donné à un des enfant la Bible pour la remettre aux nouveaux époux, en même temps que je faisais connaître le but de la petite Société et ses ressources, plus d’une larme a coulé sur les visages : on semblait reconnaître que les louanges du Seigneur sortaient de la bouche des enfants, et qu’on pouvait faire le bien avec peu de chose quand on se réunissait et qu’on y apportait bonne volonté »[6].

 Jean-Yves Carluer

[1] Anne Ruolt. Du bonheur de savoir lire. Une approche protestante de la lecture et de l’école, celle des artisans du Réveil au début du XIXe siècle en France, supplément à Théologie évangélique, Vaux-sur-Seine/Charols, Edifac/Excelsis, 2014, 160 p.

[2] Jacques Paul Rosseloty (1790-1858), fondateur du consistoire et du temple d’Orléans, personnalité très connue du courant évangélique réformé.

[3] Journal d’Éducation, N° 5, 1819, p. 279

[4] Altona, ville libre de la Confédération germanique, aujourd’hui Hambourg. La ville se révéla très tôt un laboratoire d’innovation pédagogique, y compris bien plus tard, dans les années 1920 quand les Écoles libertaires de Hambourg servirent de modèles à toutes sortes d’expérimentations contemporaines.

[5] Le liard valait alors 2 centimes-or.

[6] Rapport de la Société Biblique Protestante de Paris, 1822, p. 45-46.

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