1820 : des Bibles pour les soldats

… mais pour les militaires protestants seulement !

    En ce début du XIXe siècle encore marqué par le fracas des batailles napoléoniennes, les oeuvres bibliques étaient très attentives aux souffrances physiques et morales des combattants.

    La société mère de Londres avait depuis l’origine consenti, les concernant, à un privilège particulier : les conscrits et les prisonniers recevaient gratuitement les textes bibliques en cas de guerre, tandis que ces livres leur étaient proposés à prix coûtant par temps de paix. La Société biblique de Paris, qui recevait ses subsides de Londres, suivait un même usage. Ses représentants ont donc eu à cœur la diffusion de la Bible dans les casernements.

    En juillet 1822, le pasteur Miroglio, de Besançon, vend par exemple un Nouveau Testament à un jeune militaire protestant en garnison dans sa ville : »Il était si joyeux de pouvoir se procurer l’Évangile et quelques autres livres de dévotion, qu’il offrit pour cela tout ce que je demanderais[1]… »

    Le pasteur le plus engagé dans ce travail de distribution des Écritures est César Bonifas (1794-1855). Originaire d’Anduze, il avait eu la joie de constater qu’une des unités militaires en résidence dans sa ville de Grenoble était essentiellement composée de coreligionnaires du Midi :

Grenadier légion départementale

Grenadiers d’une légion départementale en marche, vers 1816. On remarquera la couleur dominante blanche des uniformes de ce début de Restauration monarchique.

« En mars 1821, nous avions ici en garnison environ 3oo soldats de la ci-devant Légion du Gard[2], pour lesquels j’avais sollicité auprès de vous des Nouveaux-Testamens (sic). Sur l’invitation que je fis faire dans le quartier, un assez grand nombre se rendirent chez moi; ils étaient sur le point de partir de Grenoble pour aller dans des départemens où ils seraient privés du culte public. Je saisis cette circonstance pour leur faire sentir d’autant plus la nécessité de se procurer le Livre de Dieu, au moyen duquel on peut très bien exercer ce culte évangélique, et avancer l’œuvre de son salut. Je leur retraçai l’institution bienfaisante de la Société biblique de Paris, dont le but était de mettre à la portée même des plus pauvres le livre d’or ; mais que cependant il était à désirer que chacun donnât selon ses moyens, afin qu’ils eussent le plaisir de penser que c’était une acquisition qu’ils avaient faite eux-mêmes. Là-dessus je présentai les Nouveaux-Testamens : en un instant […] tous furent distribués ; en même temps je vis mes pauvres soldats, moi ayant un attendrissement religieux, mettre tous la main à la poche, l’un d’entre eux ôter son schako, et le présenter comme un tronc ambulant à toutes ces mains qui y versaient leurs offrandes en vidant leurs minces bourses.

Peu de temps après […] je fis dans le Gard un [voyage]. A peine rentré chez moi, je vois arriver, toute joyeuse, la mère d’un sergent-major, qui me déploie et me fait lire une lettre que son fils lui écrivait de sa nouvelle garnison, et où il lui racontait cette distribution à laquelle il avait eu part, l’assurant qu’il faisait sa joie de ce livre qu’il avait reçu, et qu’il le lisait et le lirait avec soin […]

Un soldat de la garnison actuelle, auquel je donne l’instruction religieuse pour sa première communion, a obtenu depuis peu la permission de travailler en ville. Au premier mois de son salaire qu’il a touché, venant à l’instruction ordinaire : « M. le pasteur, m’a-t-il dit en propres termes, vous m’avez remis depuis quelque temps une Bible; je n’avais rien pour la payer jusqu’ici; maintenant je suis riche (et il me montrait quelques écus qu’il venait de tirer fraîchement) ; cependant voilà toute ma fortune : je vais porter à mon capitaine ce que je dois pour compléter ma masse ; mais voilà un écu de 5 francs pour payer ma Bible de 3 francs ; et il y aura 2 francs que je donne pour aider à payer les évangiles que vous avez distribués à mes anciens frères d’armes de la légion du Gard ; je suis seulement fâché de ne pouvoir cette fois vous en donner davantage »[3].

    La diffusion des textes bibliques restait pourtant une opération très délicate. Il ne fallait surtout pas le faire sans autorisation des officiers commandants, et, a fortiori, en faveur de soldats catholiques. On le vit bien dès juin 1820 quand le comité de la Société de Paris dut examiner la plainte du duc d’Estissac. Cet officier général, pourtant d’opinion libérale, « avait fait saisir à Orléans un certain nombre de Bibles entre les mains des soldats de la garnison, auxquelles elles avaient été distribuées clandestinement« [4]. Il les avait renvoyées au pasteur de la ville. Cette affaire inquiéta fort le comité de la société biblique qui craignit de se voir retirer tout agrément officiel. Il se hâta de répondre que cette distribution avait été faite à son insu par des représentants non officiels. Le comité rédigea une circulaire dans laquelle il désavouait toute tentative de diffusion de la Bible auprès des catholiques. C’était la contrainte qui pesait sur la société biblique de Paris, enfermée par ses statuts et par la pression politique du temps, en cette période de la Restauration monarchique triomphante.

 Jean-Yves Carluer

[1] Bulletin de la Société Biblique protestante de Paris, 1822, p. 32-33.

[2] Des légions départementales avaient été mises en place au début de la Restauration pour remplacer la conscription napoléonienne. Au moment où César Bonifas écrit ces lignes, la Légion du Gard était devenue le 16e Régiment de Ligne.

[3] Société Biblique protestante de Paris, Bulletin N° 4, p. 4.

[4] Orentin Douen, Histoire de la Société biblique protestante de Paris de 1818 à 1868, Paris, 1868, p. 114.

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