Luigi Arnéra (4)

Évangéliser à l’heure de midi…

     Les colporteurs bibliques des XIXe et XXe siècles se sont heurtés à une difficulté récurrente dans leurs tournées : comment proposer leurs livres aux heures où les populations rencontrées étaient entièrement absorbées par leur travail ?

    Les premières sociétés évangéliques avaient trouvé une première solution. Le début de la saison de colportage coïncidait avec la fin des travaux agricoles et s’achevait au printemps. On était donc à peu près sûr de trouver les hommes à la maison. L’évangéliste itinérant était d’autant plus le bienvenu qu’il apportait quelque nouveauté dans la grisaille de l’ennui hivernal. Mais cela avait un prix : les journées de travail ne pouvaient être que courtes, sauf, bien sûr, si le colporteur était invité à se joindre à la veillée et, mieux encore, à y prendre la parole. L’aimable chaleur rencontrée en ces occasions compensait les pénibles marches dans la neige, la pluie et la nuit.

    Mais ce schéma ne fonctionnait pas bien dans les villes, qui sont restées longtemps des espaces décevants pour les distributeurs évangéliques.

    Le cas des migrants italiens que veut toucher Luigi Arnéra est plus compliqué encore, car leurs journées sont très longues et ils sont entassés le soir dans des logements dispersés, souvent précaires et peu identifiables. Reste donc le temps de la pause de midi.

    La première occasion relatée par notre évangéliste intervient presque par hasard :

    Cannes 350« Je me trouvais à colporter à Cannes pendant une belle journée de décembre 1902. A l’heure de midi, comme je me disposais à prendre quelque nourriture, je m’assis sur un banc d’une promenade publique. Il y avait à côté de moi un homme d’environ 30 ans qui paraissait préoccupé, et il l’était, en effet. J’eus immédiatement l’intention d’entrer en conversation avec lui. Je le fis aussitôt. J’appris qu’il venait de Grenoble et que, depuis une vingtaine de jours qu’il était arrivé à Cannes, il n’avait pas encore pu trouver du travail. C’était donc la misère noire qui était devant lui. Il ne connaissait personne et il était désolé. Je lui parlai du Seigneur, de Celui qui console les affligés et qui relève ceux qui sont abattus.

    Par la grâce de Dieu qui opérait dans cet homme, un grand changement se fit en lui. Ses pensées furent détournées de lui-même et se dirigèrent vers le Christ. Il approuvait et recevait avec joie tout ce que je lui disais : cela répondait si bien à ses besoins et à son état d’âme ! Il ne cessait de me remercier pour les bonnes choses qu’il venait d’entendre; il manifesta le désir de mieux connaître la Vérité, désirant être en règle avec Dieu et le servir fidèlement.

    J’ai eu l’occasion de le rencontrer plusieurs fois depuis notre première entrevue et j’ai été heureux de constater les progrès qu’il faisait dans la connaissance de la Vérité. Il a aussi trouvé de se placer convenablement et il gagne son pain tranquillement. Depuis lors, il fréquente régulièrement les réunions d’évangélisation. Il a acheté une Bible et différents livres pour s’instruire dans les choses de Dieu. C’est un homme qui a trouvé la vie en Christ et qui jouit de la paix avec Dieu »[1].

    A partir de ce temps-là Luigi Arnéra s’arrange pour rejoindre pendant les pauses quelque groupe d’ouvriers transalpins qu’il a repéré auparavant. Ainsi, « à Nice, le colporteur se mêle à un groupe d’Italiens assis en cercle à l’ombre des arbres où l’on mange et se repose. Il faut du courage, dit Arnéra, car c’est dans ces milieux que se cachent des âmes épouvantables. Mais finalement, à sa grande joie, il réussit, on l’écoute, et il peut vendre pas mal de traités et de livres saints« [2] .

    D’autres fois le contact se fait plus facilement :

    « C’est midi, raconte encore Arnéra, et j’entre dans une carrière où plusieurs Italiens travaillent à l’extraction et à la cuisson du plâtre. Assis à terre, en cercle, les ouvriers prennent leur repas. Debout, la Bible à la main, je leur présente la Vérité. Tous sont étonnés et contents. Un seul n’est pas italien. Lui seul cherche à me contredire par son incrédulité. Les Italiens satisfaits se prêtent de l’argent mutuellement et m’achètent plusieurs almanachs et même deux Bibles[3].

(A suivre)

 Jean-Yves Carluer

[1] Société Biblique de Genève, Rapport de 1903, p. 35-37.

[2] Société Biblique de Genève, Rapport de 1912, p. 41

[3] Société Biblique de Genève, Rapport de 1910, p. 21.

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