Le temps des collecteurs bibliques (4)

En suivant les bénévoles parisiens…

    La deuxième tâche des « collecteurs » est de poursuivre les tournées régulières nécessaires pour récolter les cotisations hebdomadaires. Cela semble beaucoup de travail pour de bien petites sommes. Mais le système mis au point en Grande Bretagne par Charles Dudley dépassait largement ce rôle. Les visites régulières des collecteurs fidélisaient les engagements et étaient surtout l’occasion d’apporter des « paroles de réconfort » aux souscripteurs, de leur expliquer la Bible et d’engager avec eux des conversations spirituelles.

Bible à la veillée

Lecture de la Bible à la veillée. Société des Traités religieux, 1851.

   A Paris, les ouvriers et les artisans ont souvent du mal à tenir leurs engagements. Il arrive fréquemment que la maladie, le chômage ou des revers de fortune mettent les souscripteurs hors d’état de régler leur obole. Que faire ? La première tâche du collecteur, dans ce cas, est « d’intercéder auprès de l’un de nos pasteurs afin d’obtenir un rabais en sa faveur« . Mais cela ne suffit pas toujours. Reste alors une solution ultime, celle que le collecteur se substitue au malheureux. Voici le cas « d’un père de famille qui a depuis longtemps un des ses enfants dangereusement malade et vient de faire lui-même une grave maladie« . Le collecteur resté anonyme, « voulant maintenir le nom de cet honnête homme sur la liste… résolut de la payer de sa poche, lorsque sa femme (qui appartient à une autre communion) le pria avec instance de retenir cinq francs pour sa souscription sur l’ouvrage qu’elle lui apportait[1]… »

Un ministère spirituel et social

    On le voit, les collecteurs bibliques s’intéressent très tôt aux difficultés sociales des familles visitées. C’est l’époque où se fondent en France diverses sociétés charitables. On connaît la Société de Saint-Vincent-de-Paul créée en milieu catholique par Frédéric Ozanam en 1833. elle avait été précédée au sein des paroisses réformées par diverses sociétés protestantes équivalentes qui éclosent justement au sein du réseau associatif mis en place par les sociétés auxiliaires de celle de Paris. « La fondation de la société de prévoyance a pris naissance dans les associations bibliques« [2], remarque le compte rendu de 1827. La porosité est immédiate entre les associations bibliques et celles de prévoyance au point que le rapport de 1826 exprimait la crainte que les bénéficiaires de Bibles se détournent aussitôt de l’œuvre qui les avait pourvus en Livres saints. Mais, se consolait le rapporteur, c’était pour « une autre source du bien public« [3].

    L’oeuvre spirituelle accomplie par les bénévoles de l’association est transcrite dans les rapports selon la sensibilité dominante de ces années charnières du protestantisme français. Dans les années 1822-1825, on met volontiers l’accent sur les progrès dans l’assistance au culte ou les mutations morales induites par le travail des collecteurs : « Des souscripteurs ont fait légaliser et bénir leur mariage pour leur propre bonheur et le bonheur de leurs enfants issus d’une union illégitime »[4]. La terminologie employée à partir de 1830 est désormais celle du Réveil. Écoutons M. Mernoud, rapporteur cette année-là, décrivant le fruit de la lecture de la Bible chez un souscripteur : « cette nouvelle étude répandit dans le cœur de cet homme tant de joie, que, touché par cette bonne nouvelle qui annonce à tout homme repentant le salut par un Sauveur infiniment charitable et miséricordieux, il voulut en acquitter le montant tout de suite« [5].

Les raisons d’un déclin

    Cette même année 1830, les collecteurs artisans sont encore au nombre de 18, malgré la baisse régulière des souscriptions entamée depuis 1827. L’association en cherche la cause dans l’impact de la crise économique qui frappe durement le pays et déclenche bientôt la révolution dite des « Trois Glorieuses ». Mais il est vrai aussi que de plus en plus de foyers protestants possèdent les Écritures. Très vite, les conditions religieuses changent également en France. Les libertés nouvelles permettent à ceux qui n’auraient pas encore de Bible de s’en procurer auprès des colporteurs ambulants de l’agence française de la Société biblique britannique. L’Association biblique des artisans et ouvriers protestants entre en léthargie. Les collecteurs fidèles à la Société Biblique Protestante de Paris versent désormais directement le fruit de leurs tournées à la société mère. D’autres se mettent au service de toute nouvelle Société Biblique Française et Étrangère. Quelques-uns deviennent colporteurs bibliques. Une époque était passée. Mais elle valait la peine d’être racontée.

 Jean-Yves Carluer

[1] Société Biblique Protestante de Paris, Rapport annuel, 1825, p. 107.

[2] Idem, 1827, p. 59.

[3] Ibidem, 1826, p. 97.

[4] Ibidem, 1825, p. 108.

[5] Ibidem,1830, p. 39.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *