« L’évangélisation par l’automobile » en 1926

     Les petites polémiques internes aux milieux évangéliques ont cela de bon, c’est qu’elles soulèvent des vrais problèmes et fournissent accessoirement aux futurs historiens de précieuses indications sur la réalité des Églises.

    C’est le cas en 1926. Un lecteur du journal méthodiste L’Église libre avait entamé un débat. Selon lui, et il avait sans doute raison, les diverses œuvres d’évangélisation d’alors n’utilisaient pas assez les moyens modernes. Il se désolait d’une certaine routine qui s’était établie dans les modes de communication. Les moyens de transport mis en œuvre n’avaient guère évolué en qualité et en nombre pendant 20 ans, période il est vrai marquée par la première guerre mondiale.

    Le pasteur Henri Garnier, équipier de la Mission Populaire Évangélique, appelée aussi Mission Mac-All, se chargea de rédiger une réponse, cette fois dans les colonnes du mensuel commun à plusieurs associations protestantes, L’Action Missionnaire.

    L’article publié à cette occasion est une précieuse synthèse sur les automobiles d’évangélisation de la Mission Populaire. Nous le reproduisons ici :

    « […] La Mission Mac All en possède cinq qui font, nous semble-t-il, du bon travail.

Jules Sainton

Julien Sainton et sa voiture. Au fond, à droite, sur la rive, la péniche d’évangélisation « Le Bon Messager » (Source : La Mission Populaire Évangélique de France de 1871 à 1939, numéro spécial de « Présence », été 1985, p. 31.

    […] C’est sous les auspices de la Mission Populaire et à ses frais que M. Sainton[1] visita naguère les foires et marchés. On sait qu’il possédait un charisme tout spécial pour provoquer un attroupement autour de sa voiture, une vieille voilure qui serait aujourd’hui bien démodée, pour proclamer du haut de cette chaire originale les grandes vérités de l’Évangile et pour provoquer l’achat de livres saints. C’est lui, sauf erreur, qui fut l’initiateur de l’évangélisation par l’automobile.

    La Mission Populaire Évangélique a persévéré dans cette voie. Ses autos sont en service à Nantes, à Saint-Brieuc, à Roubaix, dans la région où travaille le bateau Le Bon Messager[2], enfin à Thiat (Haute-Vienne), dont le pasteur, un converti de la Fraternité de Nantes, est si bien pénétré de l’esprit missionnaire qu’il doit à sa formation religieuse, qu’il a entrepris, avec la jeunesse de son Église, des tournées d’évangélisation dans la région qu’il habite. Il lui fallait une automobile ; la Mission Populaire, qui est sa mère spirituelle, vient d’en mettre une à sa disposition.

     Multiples sont les services que rendent ces voitures. Elles épargnent beaucoup de fatigues et font gagner bien du temps à nos évangélistes dont les visites doivent se faire dans un rayon souvent fort étendu. Elles leur permettent de pousser des pointes dans des villages qui leur seraient inaccessibles par tout autre moyen de locomotion, d’y préparer puis d’y donner des conférences religieuses. Elles facilitent ainsi l’extension de leur champ d’action et elles leur donnent le moyen de vendre ou de distribuer largement, dans une vaste région, Nouveaux Testaments, portions des Évangiles, traités et journaux.

    [Et ce] n’est-ce pas tout. A Saint-Brieuc où la Mission Évangélique travaille avec l’Église Méthodiste, notre auto est associée à une roulotte, hippomobile hélas, dont M. Ullern[3] s’est servi pour l’évangélisation de la Savoie, roulotte qui se transforme fort ingénieusement en salle de réunion où peuvent tenir une centaine d’auditeurs. La roulotte [vient-elle de] s’établir, pour quelques jours ou quelques semaines, dans un village ou un hameau éloigné, que l’auto y transporte, pas seulement évangélistes, mais aussi quelques chrétiens qui s’en vont donner aux orateurs l’appui de leur présence, le concours de leurs chants. De même, celle de Nantes a souvent emmené des membres convertis de la Fraternité qui ont pu rendre leur témoignage dans des réunions en plein air, après avoir groupé un auditoire par leur fanfare ou par des projections lumineuses faites contre un mur. Ainsi, nos autos servent à faire de nos convertis des propagateurs de leur loi, à leur enseigner le grand devoir de communiquer à d’autres le trésor dont ils ont le dépôt. Et ceci n’est pas un des moindres avantages de l’auto.

    Que penser de l’union de l’automobile avec un bateau missionnaire ? Le mariage peut étonner au premier abord, mais, en fait, c’est lui qui nous a permis de résoudre en partie un grave problème. Quand des villages ont été évangélisés par le bateau, a-t-on le droit d’abandonner à eux-mêmes et à toutes les sollicitations, les tentations qui ne sauraient leur manquer, ceux qui ont été gagnés par l’Évangile ou attirés vers lui ? La responsabilité serait grande de ceux qui ont semé, s’ils ne veillaient pas à défendre le blé qui lève contre toutes les causes de mort. Grâce à son auto, notre évangéliste du Bon Messager peut visiter ceux qu’il a évangélisés et développer la vie religieuse, fort rudimentaire encore, des petits groupements constitués par le passage du bateau, laissés dans son sillage.

    Les services que l’automobile peut rendre à l’évangélisation et au colportage sont donc nombreux et variés. Nul doute qu’ils ne puissent le devenir encore davantage. Dés maintenant, fort des expériences qu’a faites la Mission Populaire Évangélique, nous pouvons affirmer que ses autos lui permettent de progresser, si ce n’est pas toujours en quatrième vitesse, du moins droit au but ».

    (L’Action Missionnaire, novembre 1926, p. 437).

Jean-Yves Carluer

[1] Julien Sainton, évangéliste et pasteur baptiste, longtemps au service de la Mission Populaire, fondateur de plusieurs Églises en Bretagne et en Poitou.

[2] La Mission Populaire utilisait deux péniches d’évangélisation sur les voies fluviales du Bassin parisien, Le Bon Messager et La Bonne Nouvelle.

[3] Il s’agit d’Émile Ullern, alors au service de la Commission d’Évangélisation des Églises Libres. Sur cette roulotte, en fait une salle semi-mobile, voir notre article « Semeuses et déménageuses », en ligne sur ce site. Voir aussi « Premières réunions publiques protestantes à Guingamp » sur le site protestantsbretons.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *