1857-1861 : le Réveil ignoré -2

Le Réveil américain vu par la presse francophone

     « Grand Réveil aux Etats-Unis« , titre en avril 1858 le journal suisse Le Chrétien Évangélique au dix-neuvième siècle[1]. Les lecteurs français des Archives du Christianisme au XIXe siècle sont informés à peu près au même moment, dans le numéro du 24 du même mois. « Un réveil général aux Etats-Unis » annonce le journal. Les autres titres protestants suivent, et, chose plus rare, la grande presse nationale reprend l’information. La Revue des Deux Mondes fait connaître le Réveil au grand public cultivé, non sans quelques critiques propres à l’intellectualisme parisien. Mais ce journal reconnaissait néanmoins que le Réveil « était un soulèvement de la conscience populaire, et un réveil de l’esprit protestant« .

    Au cours des années 1858 et 1859, la plupart des titres protestants, surtout ceux de tendance évangélique, comme L’Espérance ou Le Témoin de la Vérité, présentent des nouvelles du Réveil. Il en va de même en Suisse romande. La Semaine religieuse de Genève, tout comme La Feuille religieuse du Canton de Vaud, relaient les informations essentielles.

Réunion de Réveil aux USA. L'illustration représente une scène de "camp meeting" d'été en forêt, réunions très prisées par les Méthodistes

Réunion de Réveil aux USA. L’illustration représente une scène de « camp meeting » d’été en forêt, réunions très prisées par les Méthodistes

    Le grand intérêt des chroniques du journal Les Archives du Christianisme est de nous offrir souvent des informations de première main. Il se trouvait, en effet, que le principal rédacteur de cette publication, Frédéric Monod, achevait au début 1858 une longue tournée aux Etats-Unis. Le célèbre pasteur français était parti outre Atlantique collecter des fonds destinés à construire les lieux de cultes nécessaires au développement des Églises évangéliques libres dont il était le président. Frédéric Monod communiquait, à chaque parution bimensuelle, ses notes de voyages à son collaborateur et ami, le pasteur Robineau, alors en poste à Angers. Mais  ses chroniques américaines s’interrompent dès l’été. Frédéric Monod était alors rentré en France.

    De nouveaux supports prennent bientôt le relais de la presse. Deux livres paraissent coup sur coup :

    Jean Frédéric Astié (1822-1894), alors théologien de Lausanne, mais qui avait résidé à New-York de 1848 à 1853, publie à l’automne 1859 un court ouvrage consacré au Réveil en Amérique[2].  De son côté le pasteur Samuel Bérard, rédacteur du journal La Vie Chrétienne, publié à Valence et de tendance évangélique, traduit en français la synthèse de Samuel Prime, Le Réveil américain et la puissance de la prière[3].

    On peut donc considérer que les protestants francophones, du moins ceux qui avaient les moyens financiers de se procurer des imprimés, ont été informés du développement d’un Réveil qui devenait progressivement international.

    Mais ces informations étaient-elles suffisamment précises ? Il est vrai que les diverses publications fourmillent surtout d’anecdotes édifiantes. Mais les éléments essentiels d’analyse sont également présents.

    Partout sont cités les mêmes points clés :

1) Le Réveil est présenté comme un mouvement de prière, qui naît et grandit dans le cadre de ferventes réunions d’intercession. Les articles les plus sommaires parus en français omettent de signaler que ces services sont émaillés de diverses prises de parole : courtes exhortations, présentations de sujets d’intercession, et surtout témoignages de conversion et d’exaucement. Or c’est l’imbrication des prières et des réponses obtenues qui renouvelle sans cesse l’intérêt général.

2) Le mouvement est clairement interconfessionnel. Les fractures religieuses semblent abolies. C’est ce que constate encore Frédéric Monod le 27 mars à New-York.

3) Les journalistes insistent beaucoup sur les chiffres spectaculaires de conversions et le renouveau de la foi qui concerne plus particulièrement les hommes en son début, puis se propage dans toutes les catégories de la société.

4) Autre fait marquant, l’insistance générale sur la personne et l’œuvre du Saint-Esprit. Les participants du Réveil de 1857-1859 utilisent une terminologie que l’on peut qualifier de proto-pentecôtiste : « rien qui atteste plus manifestement une effusion extraordinaire d’Esprit Saint que ce qui se passe maintenant aux Etats-Unis[4]« . Une telle effervescence charismatique renoue avec la Pentecôte originelle. Faut-il aller jusqu’à remettre en question la théologie cessationiste habituelle qui borne les « signes miraculeux » aux premiers jours de l’Église ?

Le pasteur suisse Louis Burnier (1795-1873), ami de Vinet et figure marquante des Églises réformées du Canton de Vaud, s’interroge. On ne peut affirmer, estime-t-il, « ni que de tels prodiges doivent se revoir un jour, ni qu’ils ont passé pour ne pas reparaître[5]« .

5) Le rôle moteur des laïcs n’est pas oublié. C’est l’aspect le plus difficile à saisir pour l’opinion protestante européenne. Nous en reparlerons dans un autre article

Jean-Yves Carluer                        

[1] Le Chrétien Évangélique au dix-neuvième siècle, 1858, p. 129-133. Article de J.F. Astié

[2] Jean-Frédéric Astié, Le Réveil religieux des Etats-Unis, 1857-1858, d’après les principales publications américaines et anglaises, Lausanne, 1859.

[3] Samuel Irenaus Prime, Le Réveil américain et la puissance de la prière, traduit par S. Bérard, pasteur, Paris, Grassart, 1859.

[4] Le Chrétien Évangélique au dix-neuvième siècle, 1858, p. 258.

[5] Louis Burnier, « Les effusions extraordinaires du Saint-Esprit », Le Chrétien Évangélique au dix-neuvième siècle, mai 1858, p. 255.

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Une réponse à 1857-1861 : le Réveil ignoré -2

  1. Métreau Clément dit :

    Un article vraiment intéressant qui nous confirme le travail du Saint-Esprit à travers le temps. C’est réjouissant de voir cela dans l’histoire de l’Eglise. Merci pour vos recherches.

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