Crise de croissance à la Société biblique de Paris -1

1824-1825 : un constat en demi-teinte…

     La Société de Paris avait fêté ses cinq premiers anniversaires avec la satisfaction d’un devoir brillamment accompli. Elle avait distribué des dizaines de milliers de Bibles et Nouveaux Testaments et avait suscité la création de dizaines de sociétés auxiliaires dans les départements.

     Le rapporteur de l’assemblée générale s’émerveillait en avril 1824 de voir la croissance de l’œuvre. Il reprenait, devant les délégués parisiens, la métaphore arbustive chère aux fondateurs de la Société biblique britannique : « La société que vous formez n’est qu’une des mille branches de l’arbre immense dont Dieu laissa tomber il y a vingt ans la première semence sur une autre contrée, et dont les vastes rameaux nourrissent aujourd’hui de leurs fruits les peuples les plus lointains. Vous aimez à envisager dans son ensemble cet arbre de vie, et à considérer ses progrès[1]. »

     Une vingtaine de nouveaux rameaux s’étaient effectivement ajoutés cette année-là et l’arbre grandissait. Mais ce n’était pas exactement là où les besoins étaient les plus importants.

Le problème…

     La carte des sociétés auxiliaires et surtout des sociétés branches ne correspondait pas vraiment à celle du peuplement protestant.

     Les œuvres bibliques les plus anciennes et les plus dynamiques, celles qui avaient d’emblée atteint leurs campagnes et leurs paysans, étaient de petits isolats huguenots de la France du nord : Marsauceux, Meaux, Lemé, Asnières-les-Bourges…

     Les grands pôles provinciaux protestants abritaient certes des œuvres succursales ou associées. C’étaient Strasbourg, Colmar, Mulhouse, Montbéliard, Lyon, Nîmes, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, La Rochelle et Saint-Maixent. Mais leur activité était très variable. Les Alsaciens, assez bien pourvus en Bibles, n’avaient pas développé sur leurs terres le système de la distribution par collecteurs, alors qu’ils en étaient les pionniers à Paris. Le Pays de Montbéliard était, par contre, un modèle. Si les Bordelais ouvraient des annexes en direction de la Dordogne, les Poitevins et les Saintongeais étaient peu actifs : « La Rochelle n’a pas encore l’activité que nous espérons[2]… ». La société de Saint-Maixent semblait même déjà en déclin. Elle n’avait pas pu imprimer son rapport. Du coup, « plusieurs souscripteurs éloignés ont successivement cessé de nous aider[3]… » Jarnac « n’est pas encore parvenue à former des sociétés branches… la distribution y a été jusqu’ici peu abondante [4]« . De Valence à Die, la Drôme semblait bouder la distribution de Bibles. La Lozère protestante et la Haute-Loire étaient oubliées.

Nouveau Testament très ancien

Nouveau Testament très ancien, trouvé dans les décombres d’une maison à la fin du XIXe siècle, exposé au Musée du Désert.

    Partout, dans les grands foyers de peuplement protestant sauf le Pays de Montbéliard, l’activité des sociétés bibliques auxiliaires semblait se limiter aux villes. Or, les campagnes huguenotes du Midi souffraient d’une famine intense de Bibles. A Saint-Jean-du-Gard, par exemple, en 1822, les 1653 protestants qui savent lire, sur un total de 3463 âmes, doivent se partager cinq Bibles et 74 Nouveaux Testaments ! La situation n’était guère meilleure de l’autre côté du Rhône. Il n’y a que 11 Bibles, par exemple, à Poët-Laval (Drôme). Les pasteurs estimaient que seules 20 % des familles des consistoires du Midi possédaient un exemplaire des Écritures, souvent en très mauvais état. Les plus anciennes Bibles étaient devenues presque illisibles, aussi bien par leur usure que par l’emploi d’une typographie obsolète.

     Quelle différence avec le nord du pays ! Autour de Sedan, le pasteur Peyran, « ayant visité 11 villages ou hameaux, […] a trouvé presque toutes les familles en possession du volume sacré[5]« . Lille et le Pays-de-Gex avaient déjà été pourvus directement depuis l’Angleterre et Marsauceux avait achevé son programme de distribution systématique.

     L’accélération de la diffusion biblique ne pourrait s’opérer qu’en multipliant les associations locales dans le sud du pays et en y suscitant des vocations de collecteurs bénévoles. Car si les sociétés auxiliaires ne sont que des dépôts locaux, les livres neufs restent trop souvent dans leurs caisses au fond d’une sacristie.

     Les plus pessimistes des militants bibliques faisaient alors un rapide calcul qui revient plusieurs fois dans les rapports : au rythme des premières années de la Société de Paris, il faudrait encore un siècle et demi pour que tous les protestants français possèdent un exemplaire des Écritures !

Or, les chiffres des Bibles distribuées, communiqués aux participants lors de l’assemblée générale du printemps 1825, firent l’effet d’une douche froide : ils avaient diminué en un an !

Il fallait réagir !

Jean-Yves Carluer

[1] Société Biblique Protestante de Paris,  Rapport annuel, 1824, p. 29

[2] Idem 1825, p. 46

[3] Ibidem, 1825 p. 46

[4] Ibidem, 1825, p. 47.

[5] Ibidem, 1824, p. 65

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