Un nouvel élan pour les sociétés bibliques -1

L’art de fonder une société biblique locale…

    Nous l’avons vu, l’essor de la diffusion des Écritures en France passe, à partir de 1825 par la multiplication de petites sociétés, appelées « branches », car elles se greffent sur les troncs des sociétés auxiliaires départementales. C’est leur dynamisme qui permettra d’atteindre les familles protestantes les plus isolées.

    Le 9 janvier 1826, le pasteur Sautter,[1] secrétaire de la société auxiliaire de Marseille, détaille pour son collègue Casimir Gabriac[2] la marche à suivre pour établir des sociétés branches dans les petites paroisses provençales de Mouriès et de La-Roque-d’Anthéron. Cette lettre permet d’appréhender la stratégie mise en œuvre à peu près partout en France à cette date.

       « Rassemblez quelques personnes de votre Église, celles surtout que vous connaissez le mieux disposées pour les choses saintes, et dont l’influence peut être la plus générale et la plus heureuse, les anciens, les diacres ; que ce premier appel soit une distinction honorable, une récompense accordée à la piété par le pasteur. Si vous pouvez faire envisager de cette manière l’invitation que vous adresserez aux chefs de vos familles les plus notables, le succès est assuré[3]« .

Mouriès temple

Le temple de Mouriès

    Pour les sociétés bibliques, le succès ou l’échec ne peuvent venir que des notables protestants locaux, qu’ils soient institutionnels dans le conseil presbytéral local ou des propriétaires influents, en tous cas des « chefs de familles » écoutés. Il ne s’agit pas seulement de les convaincre de l’intérêt spirituel d’une large diffusion de la Bible, mais aussi de leur présenter le nouvel engagement comme une distinction de plus, chose à laquelle les hommes du premier XIXe siècle ne sauraient être indifférents.

    « Dès que vous serez réunis au nombre de dix à douze personnes  (il n’est pas nécessaire que vous dépassiez ce nombre), après avoir exposé le motif de cette convocation extraordinaire, et avoir fait connaître le but de l’Institution biblique, son origine, ses progrès, les succès admirables qu’elle a déjà obtenus […] proposez-leur de se former en comité, et de s’associer sans délai à cette oeuvre, dont sûrement ils ne contesteront pas l’excellence ».

    Le texte de la société biblique de Marseille omet, par pudeur financière sans doute, un des arguments clés en faveur de la création d’une société locale : la belle dot de dizaines de Bibles ou de Nouveaux Testaments que va lui concéder l’échelon national. Cela représente une réelle valeur financière en 1826. Ce n’est que dans un deuxième temps que la société branche fera remonter ses cotisations sous forme de « dons d’auxiliarité ». Ce système, d’origine britannique, fait fonctionner le réseau biblique, non sur un strict modèle commercial, mais sur des échanges de dons réciproques…

Des conseils pratiques…

    « Engagez-les à nommer, et s’ils hésitent à le faire, nommez vous-même un président, un secrétaire, un trésorier et quelques autres personnes qui seront membres du comité.

    Permettez que la présidence vous soit offerte, si vous le croyez nécessaire; sinon acceptez la place de secrétaire, qui, devant obliger à quelques travaux de rédaction, pourrait paraître un peu embarrassante pour les autres membres du comité »

    Une société biblique locale est souvent une des premières structures associatives mises en place dans une commune rurale en ces années 1820. On notera que le rôle du pasteur peut y être apparent ou caché, selon son choix. Mais dans bien des cas, c’est lui qui assure le domaine de l’administration. Cela rassure. Du coup, le ministre du culte se mue en formateur administratif. C’est peut-être une des clés de la précocité protestante dans la prise de responsabilités politiques au XIXe siècle.

    « Ce premier travail fait, déterminez le lieu , le jour et l’heure de vos réunions; rassemblez-vous à jour fixe, à des intervalles qui ne soient pas trop éloignés, le premier lundi de chaque mois, par exemple; choisissez l’habitation du président, la salle du consistoire, ou le temple, si vous le jugez plus convenable. Ne craignez pas de ne savoir de quelle manière occuper le temps ; quelque étroite que soit la sphère de votre activité, vous aurez toujours des soins intéressants qui réclameront l’attention du Comité« .

    Au sein de la pyramide formée par les sociétés bibliques, les échelons supérieurs insistent constamment sur l’importance de rendez-vous fréquents et réguliers. C’est sans doute le fruit de l’expérience. Trop d’associations locales entrent rapidement en léthargie. Autant que ce soit une fois l’œuvre accomplie !

    « Dans les premiers temps, vous aurez à faire des recherches exactes sur les familles de l’Église qui ne possèdent pas les Livres saints, et à qui vous les offrirez en don, s’ils ne peuvent les acquérir, ou à prix réduit, s’ils ne peuvent faire que de légers sacrifices« 

temple la Roque d'Anthéron

Plaque de céramique apposée sur le temple de La Roque d’Anthéron. Le bâtiment est représenté au centre, en compagnie des autres lieux de culte du Lubéron protestant, héritier des Vaudois de Provence

    La première étape confiée à une association locale est de remplir des « Tableaux bibliques » très précis, recensant les familles protestantes, répertoriant les ouvrages existants, et mentionnant les niveaux de scolarisation. Ce seront souvent les premières statistiques dont disposeront les pasteurs. Un tel travail ne pouvait être réalisé par les pasteurs seuls. Les sociétés bibliques locales ont donc réalisé donc dans une œuvre diaconale essentielle, d’autant que les visites nécessaires permettent des échanges fructueux.

Entretenir l’enthousiasme…

    « Vous aurez à stimuler le zèle religieux de tous les fidèles, pour les engager à soutenir par de légères contributions la Société naissante; vous aurez enfin pour aliment continuel de vos intéressantes réunions, les bulletins du comité de Paris, dont vous leur ferez lecture, et qui, assurément, captiveront leur attention par les succès étonnants qu’ils rappellent et les rapports annuels de la séance générale« .

    On touche enfin à l’enjeu de communication représenté par le Bulletin de la Société Biblique de Paris. Ce journal mensuel d’une vingtaine de pages a été édité entre 1821 et 1828 au moment de l’expansion de l’œuvre. Le Bulletin passait en revue les progrès des sociétés bibliques, de Saint-Petersbourg à Marsauceux, publiait des témoignages émouvants, des correspondances, des bilans chiffrés, sans oublier quelques discours qui étaient en fait des prédications.

    Le tirage était considérable pour l’époque et a atteint les 8000 exemplaires, en 1826 justement. L’abonnement était gratuit pour tous les souscripteurs réguliers de Bibles et le comité faisait distribuer également des exemplaires du journal dans les paroisses où il envisageait la création d’une société branche. Il faut se replacer à cette époque où les journaux étaient hors de prix pour comprendre l’impact de ce bulletin que l’on lisait, que l’on échangeait, et que l’on relisait encore à haute voix pour les coreligionnaires analphabètes, encore majoritaires dans la Midi. La société biblique attisait ainsi une soif de lecture destinée à provoquer tout à la fois l’intérêt pour l’écrit et les Écritures…

     Épilogue : Le rapport de la société de Paris, édité quelques mois plus tard, concluait que  « le zèle qu’avaient montré [La Roque et Mouriès] pour la construction de leur temple ne permettait pas de douter de leur empressement de soutenir l’édifice de l’Institution biblique […] Aussi ont-elles organisé dans leur sein des sociétés branches, et nous mentionnons ici avec plaisir les instructions par lesquelles le comité de Marseille y a puissamment contribué[4]« .

Jean-Yves Carluer

[1] Jean François Sautter (1791-1872), d’origine genevoise, pasteur à Marseille puis Alger.

[2] Adolphe Casimir Gabriac (1771-1831), pasteur à Mouriès, dans les Alpilles, représentant d’une vaste fratrie pastorale cévenole (Saint-Michel-de-Dèze, en Lozère).

[3] Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, N° 45, janvier 1826, p. 152-153.

[4] Rapport de la Société Biblique Protestante de Paris, 1826, p. 56.

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