Estelle Chabrand Falle (1806-1826)

    Estelle, fille aînée de César Chabrand, jeune épouse du pasteur Philippe Falle, douée d’une intelligence exceptionnelle, mariait la foi de Félix Neff à la philanthropie d’Oberlin. Alors qu’elle commençait à être connue dans les milieux protestants du Réveil qui émergeait alors en France, sa soudaine disparition lui conféra une autre dimension, celle de la tragédie….

    Estelle Falle était l’aînée des 9 enfants du pasteur César David Chabrand (1780-1863) et de Magdeleine Françoise Daumas (1780-1869)[1]. A l’époque de sa naissance, son père débutait son ministère dans la paroisse de Saint-Gilles-du-Gard, entre Costières et Camargue. César Chabrand devint quelques années plus tard président de consistoire à Toulouse. Véritable « évêque » protestant de la Haute-Garonne et de l’Ariège pendant près d’un demi-siècle, il s’est révélé un personnage incontournable du Midi protestant, cumulant les activités malgré une santé régulièrement déficiente. Introducteur en France de la méthode d’alphabétisation par enseignement mutuel, il a été l’éditeur, dès 1818, d’une édition de 10.000 Bibles en version Martin. Il fut ensuite le mentor de la Société des Livres Religieux de Toulouse. C’était surtout une des principales voix du Réveil dans le Sud-Ouest de la France.

    Estelle grandit dans cette famille de grande culture et s’y épanouit. Nous ne savons pas grand-chose des premières phases de son éducation, sinon qu’elle appris l’anglais auprès d’une britannique, Lady B., amie de la famille. A l’âge de 10 ans, elle accompagna son père en Grande-Bretagne lors de sa tournée d’information sur la méthode d’alphabétisation par enseignement mutuel et devint en cette occasion monitrice générale dans l’école de Chelsea[2].

Montmirail Neuchâtel

La « pension des jeunes demoiselles » de Montmirail, près de Neuchâtel (Suisse), vers le milieu du XIXe siècle

    Une fois de retour à Toulouse, se posait le problème de la poursuite de l’éducation d’une adolescente visiblement très douée. Peu d’options étaient possibles dans la France de 1817. César Chabrand choisit de mettre sa fille aînée en pension trois années dans un des établissements les plus prestigieux et coûteux de l’Europe continentale, la Pension de Jeunes Demoiselles, de Montmirail, près de Neuchâtel. Ce pensionnat suisse était tenu par les Frères Moraves et avait été fondé par le comte de Zinzendorf lui-même. Cette institution dispensait en français et en allemand un enseignement très ouvert sur les sciences, la littérature et les arts, dans un cadre de piété revivaliste.

    Estelle revint à Toulouse. Elle avait 17 ans, un âge où, selon les normes de la bourgeoisie de l’époque, on pouvait envisager le mariage.

    Le jeune pasteur Philippe Falle, né en 1795, originaire d’une famille de notables de Jersey, était devenu entre temps le protégé de César Chabrand. Il en avait d’ailleurs plutôt besoin. Il faisait partie de la poignée d’agents que la Société Continentale, de Londres, venait de charger de « réveiller » la France. Mais cette petite dizaine d’évangélistes suscitait de violentes réactions et une franche hostilité au sein des paroisses réformées. Car plusieurs d’entre eux, comme Ami Bost, Henri Pyt, Porchat ou Méjanel, étaient volontiers séparatistes et agissaient en désaccord avec les consistoires officiels. D’autres agents, par contre, comme Guillaume Portier ou Philippe Falle, justement, étaient intéressés par une collaboration qui pourrait déboucher à terme sur un statut de pasteur officiel. César Chabrand joua un rôle majeur dans leur intégration. C’est ainsi qu’il proposa un poste de suffragant, c’est-à-dire de pasteur assistant, à Philippe Falle. Le ministre titulaire de la paroisse de Calmont, en Haute-Garonne, avançait en effet en âge et il était opportun de progressivement le décharger. Le salaire de suffragant était dérisoire, mais ce n’était pas un obstacle pour Philippe Falle qui disposait d’autres ressources. Un autre argument joua un rôle majeur. César Chabrand offrit au pasteur jersiais la main de sa fille.

    Les deux jeunes gens semblent avoir été très épris l’un de l’autre. Le mariage se fit en 1824. Le jeune couple pastoral s’établit immédiatement à Calmont. Estelle avait 18 ans. Elle allait rapidement bouleverser, avec son mari, cette paroisse traditionnelle du piémont pyrénéen.

(A suivre)

Jean-Yves Carluer

[1] Elle était née le 2 mars 1806. Les textes d’origine familiale écrivent son nom Estèle. Nous avons conservé la graphie Estelle, telle qu’elle est portée sur son acte de décès, le 3 mai 1826, à Calmont (Garonne).

[2] La miséricorde de Dieu manifestée en Jésus-Christ, avec une notice sur la vie et les dernières heures de feu Mme Estèle Falle, née Chabrand, Toulouse, 1828, p. VIII.

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