Estelle Falle 2

Une jeune pionnière du Réveil (1806-1826)

(suite de Estelle Chabrand Falle)

    Calmont est une grosse paroisse protestante du Pays de Saverdun (Ariège) placée par la fantaisie du découpage départemental en Haute-Garonne. Cette ancienne bastide, entre comté de Foix et Toulousain, se serre autour de son ancien château. Ses seigneurs s’étaient convertis au protestantisme lors de la Réformation. Près d’un millier de calvinistes y sont encore présents en 1820, sous la houlette du vieux pasteur Lacombe. La paroisse était restée dans ses traditions et usages hérités du XVIIIe siècle, très peu touchée par l’alphabétisation et le Réveil.

Calmont (Haute-Garonne). Wiki commons

Calmont (Haute-Garonne). Wiki commons

     C’est là que s’établissent les nouveaux époux Falle, en 1824. Ils bouleversent la paroisse en quelques mois en mettant en œuvre exactement la même stratégie que Félix Neff dans les Hautes-Alpes : écoles, sociétés bibliques, sociétés de dames, progrès agricole, écoles du dimanche, prédication du Réveil.  Le plus bel hommage porté au pasteur Philippe Falle provient paradoxalement de son « concurrent » religieux, le curé de Calmont. Dans un document retrouvé par Pierre Genevray dans les archives de l’archevêché de Toulouse, le prêtre se plaint en janvier 1827 de ce que sa paroisse soit très exposée au renouveau huguenot : « Un ministre protestant irlandais (sic) va partout… prêche partout… » Philippe Falle est présenté comme riche et généreux, il a « une conduite très régulière, de l’esprit, des moyens, beaucoup de charité« . L’école qu’il a établie à Calmont est bien dirigée et plusieurs catholiques ont commencé à y envoyer leurs enfants[1]

     « Les premiers soins de Mme Falle, en arrivant à Calmont, eurent pour objet l’École du Dimanche […] Elle se chargea plus particulièrement de diriger les filles[2]« , raconte son biographe anonyme, qui ajoute qu’elle « introduisit parmi ses jeunes filles le chant des cantiques« . L’effet d’entraînement toucha à son tour les parents, selon un processus attesté en plusieurs autres lieux : « leur Nouveau Testament leur devint précieux ; les parents apprirent d’eux à l’apprécier et à le lire, et, au bout d’un certain temps, l’Église de Calmont prit une autre face« .

     A la fin de l’année 1824, Estelle Falle accompagna son mari lors d’un assez long voyage en Angleterre. Elle accoucha d’un fils l’année suivant et se mit bientôt à la rédaction d’un ouvrage sur La vie et les dernières heures de Josephte Haulié, un récit de mort édifiante en conformité à la sensibilité du temps.

    Les premières mentions dans la presse protestante d’Estelle apparaissent dans les premiers mois de 1826, au moment même où sa santé bascule :

    Madame Falle, ayant reçu de madame la baronne Pelet une lettre d’encouragement, s’empressa […] de former une petite société… Ses soins lui firent réunir 90 souscripteurs[3]… »

    Estelle Falle avait dû, pour cela, visiter « toutes les familles protestantes de Calmont« . Elle put donc répondre à la secrétaire de la société de dames de Paris :

    « Nos pauvres habitants ayant souscrit, cette année, pour la Société biblique des hommes, pour celle des Missions évangéliques, et pour le bâtiment des écoles, se trouvaient dans l’impossibilité d’en faire davantage : ce qui nous avait engagé à remettre notre projet à la  moisson prochaine ; mais votre lettre, Madame, nous donna un nouveau courage, et je résolus de faire une tentative pour voir ce que l’on pourrait faire. Dans ce but, je rassemblai nos pauvres femmes ; et, après leur avoir fait lecture de cette partie de votre lettre qui concerne les Sociétés bibliques, je leur parlai de tout le bien que le Comité de Paris avait déjà fait et continuait de faire. Après la lecture de cette lettre, mon mari qui, en qualité de pasteur, était le seul homme présent parmi les femmes que j’avais réunies, leur fit une courte exhortation et leur lut quelques faits tirés des Bulletins de la Société biblique protestante de Paris ; mais nos pauvres femmes n’en avaient déjà plus besoin : aussi m’offrirent-elles de suite leurs petites contributions qui s’élevèrent à 54 fr. 65 c. Cette somme annuelle cessera de paraître aussi peu considérable, quand vous saurez qu’elle est déduite du nécessaire péniblement acquis par de longs travaux.. Vingt-cinq centimes, qui est la souscription à laquelle elles s’engagent, valent plus dans notre pauvre village, que vingt sous donnés par une simple ouvrière de Paris, qui, chaque jour, est sûre de sa journée, tandis que nos laboureurs parviennent avec peine à se procurer assez de grain pour alimenter leurs familles, et n’ont que peu ou point de moyens de se procurer de l’argent[4]… »

    La dernière tâche d’Estelle Falle a donc été celle d’un collecteur.

     « Le 19 avril 1826 se déclara la maladie qui venait terminer sa course terrestre. les remèdes furent prompts, mais, compliqué par l’état de grossesse où se trouvait alors Mme Falle, le mal n’y céda pas« . Elle décéda le 2 mai 1826. Elle avait 20 ans.

    La soudaineté de cette disparition, la personnalité d’Estelle Falle, sa filiation avec César Chabrand, l’intensité de son engagement spirituel, tout cela frappa l’opinion protestante. Le journal Les Archives du Christianisme lui consacra un long article en décembre. Quand parut à Toulouse, deux ans plus tard, la traduction posthume de La Miséricorde de Dieu manifestée en Jésus, réalisée par la jeune épouse du pasteur de Calmont, l’éditeur la fit précéder d’une notice sur la vie et les dernières heures d’Estelle Falle. L’auteur en est anonyme mais il ne semble pas que ce soit son père. Je pencherais plutôt pour un des membres du comité de la Société biblique auxiliaire de Toulouse. Ce pourrait être l’avocat Borrel, qui accompagna bientôt le pasteur Chabrand dans une grande campagne revivaliste qui toucha les paroisses protestantes de la région. Il y avait aussi des jeunes hommes appelés à prendre une place majeure dans la diffusion protestante française, les frères Courtois. Armand, Franck et Louis ont été les fondateurs avec César Chabrand de la Société des Livres Religieux, première maison d’édition réformée au XIXe siècle[5]. On peut estimer qu’ils sont les héritiers spirituels directs d’Estelle Falle, qu’ils connaissaient bien.

    Philippe Falle se remaria quelques années plus tard. Il édifia à Calmont un nouveau temple, en grande partie à ses propres frais. Plusieurs de ses fils embrassèrent la carrière pastorale.

Jean-Yves Carluer

[1] Lettre à l’archevêque  de Toulouse, 17 janvier 1827, citée par Pierre Genevray, « La « paix chrétienne », l’harmonie des cultes », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1950,p. 22.

[2] La Miséricorde de Dieu manifestée en Jésus Christ, Toulouse, 1828, p. XVII.

[3] Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, mai 1826, p. 4. Mme Pelet de la Lozère était un membre particulièrement actif de la Société  des dames protestantes de la capitale.

[4] Société Biblique Protestante de Paris, Rapport de 1826, p. 92.

[5] Jean-Yves Carluer, « Les enjeux culturels de l’évangélisation protestante au XIXe siècle. : Les trois âges de la Société des Livres Religieux de Toulouse (1820-1891) », Théologie Évangélique, Fac Réflexion, 2007, p. 203-228.

 

 

 

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