Le Béthel du Havre, 1855-1863 -2

L’Hôtel du Bon Mousse : une maison pour les jeunes marins…

    Faut-il voir dans la construction du premier Sailor’s home exclusivement français un fruit du bref « réveil » havrais de 1858 ?

    Plusieurs indices peuvent le laisser entendre. Les dates d’abord : c’est en 1859 qu’est mis en chantier le bâtiment de l’Hôtel du bon Mousse, ouvert deux ans plus tard. Les hommes ensuite, à commencer par l’initiateur du projet,  Frédéric Samuel Edmond de Coninck (1805-1874), le négociant havrais qui cumule les engagements religieux. C’est le chef de file des protestants évangéliques de la ville, il est à la fois membre du conseil presbytéral de l’Église réformée et du comité local de l’aumônerie des marins anglo-américains du pasteur E.N. Sawtell. Il appartient à la « colonie » des Monod du Havre, dont il est cousin. Il a participé, enfin, à l’épopée de l’édification de la chapelle anglo-américaine de la Rue de la Paix dont il a signé les premiers titres officiels.

    Le bref élan revivaliste du printemps 1858 était resté limité aux protestants déjà engagés. En butte à l’hostilité des libéraux, il ne semble pas s’être traduit par un essor des différentes Églises de la ville. Son impact s’est manifesté sur le plan social, comme cela a été souvent le cas dans le cas à cette époque.

     Depuis plusieurs années le Mouvement Béthel, fort de son implantation dans la plupart des grands ports du monde sous la forme de salles de réunions et de bibliothèques d’escale, était passé à une nouvelle étape. Il mettait en place des sailors’homes où les marins convertis échapperaient aux sollicitations des multiples bouges qui régnaient sur les quais, le soir venu. Le problème se posait au Havre comme ailleurs, mais la situation y semblait cependant un peu moins critique. Dans un rapport publié en août 1857, le pasteur Sawtell estimait qu’il « y avait quelques hôtels respectables pour les matelots« . L’aumônier américain reconnaissait qu’il avait échoué à fonder un abri pour marins au Havre : « J’ai bien essayé, et j’ai beaucoup parlé d’un sailor’s home, établi sur de bonnes bases. Mais il me semble pouvoir conclure que ce sera un vain projet tant que les équipages seront embarqués selon des contrats où les officiers gardent sur eux un même contrôle, aussi bien dans les ports que sur les quais[1]… »

    Ce n’est pas exactement l’avis de Frédéric de Coninck. Son projet s’adresse avant tout aux plus jeunes, qu’ils soient anglo-américains ou autres. Il décide de le réaliser sur ses fonds propres, en espérant être relayé par des subventions locales. Les protestants sont alors particulièrement bien représentés à la mairie de la ville et dans les différentes chambres de commerce. Cela devrait faciliter un projet qui n’est pas présenté comme confessionnel mais simplement  philanthropique.

 

Le sailor's home hotel du bon mousse

L’hôtel du Bon Mousse, rue Ancelot, au Havre (source : Almanach du commerce du Havre, 1867)

   L’Hôtel du Bon Mousse est achevé en 1862. Frédéric de Coninck le  recommande le 23 octobre au maire du Havre : C’est un petit « Sailor’s home », spécialement destiné aux mousses et qui est déjà construit rue Ancelot… Le négociant protestant explique alors la situation déplorable des enfants et jeunes marins débarqués sur les quais, livrés à la convoitise financière des tenanciers des auberges et exposés à tous les dangers de l’alcoolisme et de la prostitution précoces. C’est afin de donner aux mousses qui n’ont pas leurs parents dans le voisinage la possibilité de se soustraire ou d’être soustraits à une aussi fâcheuse influence morale que l’Hôtel du Bon Mousse est créé… J’aurais bien désiré lui donner un nom équivalent à celui de home, employé en Angleterre pour ces établissements, mais il n’existe probablement pas dans notre langue[2].  Et Frédéric de Coninck cite l’exemple des œuvres qui se créent alors à Dunkerque ou Marseille. Il sollicite une aide municipale.

    Mais les édiles havrais font la sourde oreille. Pour l’heure, l’initiative de Frédéric de Coninck déplaît. La personnalité de son auteur ne fait visiblement pas l’unanimité. Peut-être l’œuvre est-elle implicitement trop marquée comme protestante ? Il est vrai que, pour des raisons d’économie dans l’achat du terrain, Frédéric de Coninck l’a placé dans la « ville neuve », à deux pas du temple réformé et de la chapelle américaine.

    Ce qui est sûr, c’est que l’établissement n’obtient pas la subvention municipale nécessaire. L’Hôtel du Bon Mousse a ouvert ses portes mais boucle difficilement ses comptes. Le déficit est déjà important en 1864. Or, les affaires personnelles de Frédéric de Coninck passent alors par des temps difficiles.  L’établissement doit bientôt fermer ses portes.

    Plus tard, en réponse à une lettre de la chambre de commerce de Bordeaux interrogeant en 1879 la municipalité sur l’existence d’un sailor’s home au Havre, la mairie dressera une sorte de bilan : Cet établissement, sous le nom d’Hôtel du Bon Mousse, exista pendant quelques années avec beaucoup de peine, mais il dut être fermé, n’ayant pu lutter contre l’indifférence des jeunes marins, les sollicitudes intéressées dont ils étaient l’objet, et le désir d’être libres[3]Plus prosaïquement, dès 1864, le commissaire du Havre évoquait une autre source de difficultés : L’établissement du Bon Mousse est beaucoup trop éloigné des bassins de la ville[4]

    Mais si l’initiative de Frédéric de Coninck, première tentative pour établir un hébergement social pour marins au Havre connaissait un rapide échec, l’idée n’allait pas tarder à être reprise par d’autres protestants.

    C’est finalement l’Église d’Angleterre qui construisit le vaste sailor’s rest édifié sur le quai Casimir Delavigne dans le cadre de son aumônerie navale.

    Une version « laïcisée » de sailor’s home finit également par voir le jour. La Maison des marins du Havre (5, quai Notre-Dame), est fondée le 15 décembre 1892 par les soins de la « Section havraise des dames de la Ligue nationale contre l’alcoolisme », avant d’être reconnue d’utilité publique le 5 août 1905[5]. Or, cette « section de dames » porte des noms qui fleurent la haute société huguenote havraise : Mme Jules Roederer-Delaroche en est présidente, et on trouve également au comité de l’année 1910 Mmes De Coninck, Siegfried, et plusieurs autres protestantes…

Jean-Yves Carluer

[1] The Sailor’s magazine, 1857, p. 355.

[2] Archives municipales du Havre, Q2/3/8, lettre de Frédéric de Coninck, 23 octobre 1862.

[3] Archives municipales du Havre, Q2/3/8. correspondance,  octobre 1879.

[4] Archives municipales du Havre, Q2/3/8. Rapport du commissariat central, 24 février 1864.

[5] Archives municipales du Havre, Q2/3/9. L’association se dissout comme bien d’autres en 1914.

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