Les « missions bibliques » -1

Des missions, pourquoi ?

     Le comité de la Société Biblique Protestante de Paris, qui coordonne alors la distribution des Écritures en France, commence à se poser de sérieuses questions en 1824-1825.

    Apparemment tout va pour le mieux : le réseau des sociétés auxiliaires s’accroît régulièrement. Ces dernières distribuent Bibles et Nouveaux Testaments par milliers, financés en grande partie par la générosité des protestants britanniques.

Société biblique de Lyon

La Société Biblique Auxiliaire de Lyon : une oeuvre dynamique qui imprimait ses rapports réguliers

    Mais des points noirs subsistent : alors que quelques paroisses sont déjà bien pourvues, des contrées huguenotes entières restent obstinément fermées à la diffusion biblique. Du coup, la distribution des Écritures stagne, alors même que les besoins sont immenses. Autre problème grave, les responsables parisiens ont l’impression que certaines sociétés auxiliaires de province n’ont qu’une existence virtuelle. La lassitude aurait-elle déjà gagné des correspondants départementaux ? Un doute pesant s’insinue : Certaines des nouvelles associations et sociétés n’auraient-elles été créées que pour bénéficier d’un effet d’aubaine, la réception gratuite de caisses de Bibles, pour ensuite immédiatement entrer en léthargie ? Ce serait alors tout l’édifice de confiance du système des sociétés bibliques qui serait faussé : Le système de distribution mis au point à Londres en 1804 ne se veut pas une entreprise commerciale, mais une œuvre généreuse d’échange fraternel alternant dons et contre-dons. Sans confiance réciproque et réelle circulation entre les racines et les branches, l’arbre biblique ne peut que péricliter et périr.

    Pour y voir plus clair, le comité de Paris ne peut plus se contenter de la présence de quelques délégués de province à son assemblée générale ni d’éléments de correspondance, pas plus que des séjours d’été de ses membres dans leurs propriétés de province. Il est temps, après sept années de fonctionnement, d’aller directement sur le terrain.

A la rencontre des protestants de province…

    La société de Paris organise donc, à ses frais, à partir de 1825, des « missions bibliques » dans les départements. Elle mandate des hommes de confiance, pasteurs ou laïcs des comités, pour effectuer des tournées dans les Églises et les branches bibliques locales. Ces émissaires sont chargés de parcourir, généralement à deux, une ou plusieurs régions consistoriales. Leur mission est double.

– Certaines visites sont en fait des inspections. Cela se sent malgré des comptes rendus très policés et les aimables demandes de consultation des registres et des comptes rendus locaux…

– L’autre but des tournées bibliques est de se porter au cœur des régions restées encore réfractaires, comme les Cévennes ou la vallée de la Drôme. S’appuyant sur quelques ministres ou anciens locaux ouverts à la distribution des Écritures, les pasteurs « missionnaires bibliques » s’efforcent dans un premier temps de convaincre leurs collègues réticents. Pour connaître les arguments de ces réels apôtres, il suffit de se reporter à l’ouvrage rédigé alors par Jean-Louis Meynadier (1790-1860): Essai sur l’influence des Sociétés bibliques. Le pasteur alors en poste à Vallon (Ardèche), ouvrier de la première heure, y réfute sur 150 pages les neuf principaux arguments qu’il a entendus de la bouche de ses contradicteurs[1].

    Une fois les principales préventions levées, il faut tout de suite enraciner l’effort biblique. On fait le tour des notables protestants locaux dont le concours est indispensable, on organise des réunions spéciales. La présence d’éminents visiteurs suffit à remplir les temples. Reste alors à mettre sur pied, dans la foulée, une nouvelle association ou société branche, faire élire son bureau, voire même désigner des collecteurs. La pérennité de cette nouvelle pousse n’est pas assurée. Tout dépendra de l’engagement réel de ses cadres.

    Au cours des années 1826 et 1827 certaines missions bibliques, comme celles organisées par le pasteur Chabrand dans l’Ariège, ont pris des allures de véritables « campagnes de Réveil ». C’est alors le moment où la vague du renouveau religieux commence à s’étendre sur le pays. Mais c’est aussi le début de controverses théologiques qui brisent le fragile consensus. Voila pourquoi, les «missions bibliques » apparaissent limitées aux ultimes années de la période de la Restauration.

    On peut en présenter la chronologie. L’automne 1825 est marqué par la grande tournée d’inspection générale d’Auguste de Staël, de Lyon à Nantes via Marseille et Toulouse. D’autres missions plus ponctuelles se déroulent au même moment en Languedoc ou Poitou et Saintonge, conduites par des pasteurs de Nîmes ou de Montauban. L’année 1826 est décisive. Les missionnaires bibliques partis du Vigan ou de Saint-Hippolyte-du-Fort parcourent les chemins et les drailles cévenoles, d’autres remontent le Lot ou la Dordogne, tandis que les Toulousains se portent en Béarn. Reste en 1827-1828 à visiter les paroisses les plus enclavées de l’Ariège et de la Drôme.

    L’offensive biblique semble ensuite se gripper, laissant de côté des paroisses jugées correctement pourvues, en Alsace ou en Haute-Loire par exemple, ou, au contraire estimées à peu près stériles car personne ou presque n’y sait lire, à l’exemple des campagnes du Poitou ou de certains villages perchés du Diois, comme Aucelon. Leur tour viendra plus tard, mais dans un autre contexte.

Jean-Yves Carluer

[1] Jean-Louis Meinadier (sic), Essai sur l’influence des Sociétés Bibliques, Paris, 1826.

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