Les collecteurs bibliques de Lyon -2

La Bible dans les banlieues

     Le travail des collecteurs bibliques n’est, sans doute, nulle part aussi décisif que dans les périphéries des grandes villes françaises qui entrent alors en Révolution industrielle. De nombreux protestants, venus là chercher du travail, s’y trouvent isolés, disséminés, prêts à abandonner toute foi. C’est un gouffre où s’engloutit le peuple réformé au cours du XIXe siècle.

    Les collecteurs de Lyon ont été particulièrement actifs pour enrayer localement ce processus, non seulement dans les quartiers où s’entassent tragiquement les « canuts », mais aussi dans les communes de banlieue proche et même au-delà, dans des petites cités industrielles comme Tarare, au cœur des monts du même nom qui surplombent la Saône. Ils sont les premiers à poser les jalons d’une expansion géographique de la foi issue de la Réforme, sous forme de petits groupes bibliques. Le pasteur Adolphe Monod en a fait peu après des annexes de son Église.

    Le travail des délégués de la société biblique de Lyon apparaît pour la première fois au début de l’année 1825 : « Le baron de Staël, secrétaire-adjoint à la Société biblique de Paris, et M. le pasteur Pache, s’étant rendus à Tarare au mois d’octobre 1824 dans le but d’y former une Société biblique branche de celle de Lyon, réunirent plusieurs membres de la communion protestante, lesquels ayant donné un assentiment unanime à la proposition qu’on leur faisait, s’occupèrent séance tenante et sous la présidence de M. Brunel père, de l’organisation d’une Société biblique[1] ».

    Désireuse de susciter l’intérêt des protestants du lieu, souvent de très pauvres ouvriers des industries de la mousseline, la société mère de Lyon n’avait pas été avare :

    « Notre Comité pour témoigner tout l’intérêt qu’il prenait à cette Société naissante, lui a fait le don de 50 Bibles et de 100 Nouveaux Testaments. Le zèle pour la cause biblique qui anime les membres du comité de Tarare, nous fait concevoir, pour l’avenir, les plus belles espérances. La position de Tarare, trop éloignée du lieu de nos assemblées religieuses pour que nos familles protestantes pussent y assister ré­gulièrement, rendait bien importante dans cette ville la fondation d’une Société biblique. Par le moyen de cette institution bienfaisante, chaque famille pourra avoir maintenant son culte domes­tique, et possédera ce code de doctrine qui est l’unique base de notre foi, et qui met les principes de notre Église à l’abri de toutes les fausses inter­prétations qu’on voudrait leur donner. Saint-Étienne, Bourgoin, Saint-Cyr[2], Fontaines[3], sont autant de localités où il serait d’une grande importance de former des établissements du même genre. Nous espérons, l’année prochaine, pouvoir vous annoncer leur formation ».

canuts

L’atelier-logement d’une famille d’ouvriers de la soie (canuts) lyonnais vers 1830

   Cette tâche semble en bonne voie l’année suivante lors de la tournée d’Auguste de Staël dans le Midi. Ce dernier peut écrire à Paris en octobre 1825 après son passage à Lyon :

    « Il y a eu sous-comité biblique. À défaut de vice président, on m’a engagé à occuper momentanément le fauteuil, et j’ai été vivement touché de la séance. Plus de trente personnes y assistaient, dont 25 collecteurs d’associations bibliques. On a rendu le compte le plus satisfaisant du progrès des associations bibliques dans les villages de Fontaines, Saint-Cyr, Sainte-Consorce, et Vernaison, et dans le faubourg de Bresse[4] ».

    Ces progrès sont consignés dans le rapport de 1826 de la société biblique de Lyon :

    Un de nos plus jeunes collecteurs a visité nos frères qui habitent Vernaison; il nous a témoigné la joie que ces chrétiens ont éprouvée à la vue des Livres saints qu’il leur a portés. Sa première visite les a tellement émus, qu’ils l’ont prié de venir quelquefois les réunir pour leur lire la Bonne Nouvelle. Vous pensez bien que ce jeune soldat de Christ s’est empressé de satisfaire à ce pieux désir. Nouveau Timothée, il a ranimé chez quelques-uns le feu sacré de la foi ; son langage ne pouvait qu’être persuasif, puisqu’on le voyait lui-même, dans la saison des orages, choisir pour refuge le rocher contre lequel, ils viennent se briser. Au milieu de ce troupeau, il a trouvé des amis qui, par leurs offrandes, contribuent à nos travaux.

    Un autre collecteur, dans une de nos séances, nous rendit un compte très intéressant d’une tournée qu’il a faite à Condrieu et à Chavanay , où ses affaires l’appelaient « Je fus, dit-il, reçu en véritable frère par le petit nombre de Protestants qui habitent ces endroits j c’était à qui me ferait répéter les bénédictions que Dieu, daigne répandre sur notre Eglise. Tous protestaient de leur attachement à l’Evangile, et leur joie fut au comble, quand ils me virent en distribuer à ceux d’entre eux qui en manquaient […] Par les soins pieux de l’un de nos coreligionnaires demeurant à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, nos frères de ce village ont été fournis de Livres saints; non content de visiter les maisons qui en étaient privées, il réunit autant qu’il lui est possible les fidèles de notre communion, pour lire en commun le Testament de salut scellé du sang de l’Agneau de Dieu qui ôté les péchés du monde. C’est lui qui porte aux malades les consolations qui découlent de l’Evangile, et qui leur montre Jésus priant pour eux. La société doit à ce chrétien des remerciements pour les services qu’il rend à notre cause.

    Un négociant protestant habitant à Fontaines s’est empressé de s’adjoindre à nous pour être mieux à la portée de subvenir aux besoins spirituels des réformés du lieu qu’il habite, et un dépôt de Bibles lui a été remis. Son épouse en le secondant a donné une nouvelle preuve du bien que ferait parmi nous une société biblique de dames [5]».

    Pour en terminer avec l’engagement des collecteurs de la région lyonnaise, mentionnons l’interpénétration qu’ils ont opérée entre les différentes œuvres protestantes de l’agglomération : « Les ouvriers protestants ont formé entre eux une société de bienfaisance et de secours mutuel, à l’instar de celle de Paris, et ils engagent tous ceux qui deviennent membres de cette association, à souscrire pour la Société biblique et à lire la Bible ».

    Le baron de Staël croit bon, en toute logique administrative, de veiller à ce que les diverses sociétés qui agissent localement gardent toutefois leur identité : « Tout en donnant à cette charitable institution, les éloges qu’elle mérite, j’ai cru devoir fortement insister sur la nécessité de tenir la Société biblique entièrement distincte de toute autre institution quelconque. J’ai renouvelé la même observation à l’occasion des bonnes intentions qui m’ont été manifestées pour la Société des Traités[6] et pour celle des Missions ».

    Mais le Réveil en marche s’encombrait peu de formalisme !

Jean-Yves Carluer

[1] Société Biblique Auxiliaire de Lyon, Rapport de 1825, p. 11 et 12

[2] Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône), au nord de Lyon

[3] Fontaines-sur-Saône (Rhône), au nord de Lyon

[4] Faubourg nord de la ville de Lyon, où résidaient nombre de protestants.

[5] Société Biblique Auxiliaire de Lyon, Rapport de 1826, p. 20 et 21.

[6] La Société des Traités Religieux de Paris

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