1857-1861 : le Réveil ignoré -8

Reginald Radcliffe (1825-1895), le « gentleman évangéliste » qui porta le Réveil à Paris

    Avant de présenter le mouvement religieux qui toucha le capitale française au printemps 1861, parlons un peu de l’homme qui en fut l’instrument.

    On retient surtout de cette époque des prédicateurs remarquables comme Moody ou Spurgeon. Le grand Réveil du milieu du XIXe siècle en fit émerger bien d’autres, assez souvent atypiques. L’effusion spirituelle des années 1857 à 1861 a mis en avant de très grands évangélistes qui étaient de simples laïcs, dépourvus de toute consécration pastorale officielle. Présente dès le début du Réveil de Fulton Street à New-York, cette réalité se manifesta jusqu’à la fin du siècle. Le plus célèbre de ces prédicateurs laïcs est incontestablement le presbytérien Dwight L. Moody, de Chicago, qui ne prit jamais la peine de devenir pasteur. Avec le recul, on peut considérer qu’il n’avait peut-être pas tort. Si ces évangélistes se montrèrent si efficaces, c’est qu’il surent parler de Dieu dans le langage de leurs contemporains sans recourir à l’homilétique du temps et à un style religieux qui avait déjà tendance à faire fuir les foules. Charles Haddon Spurgeon est l’exception qui confirme la règle. Le « prince des prédicateurs », quoique pasteur, avait été en charge d’une Église baptiste près de Cambridge dès l’âge de 17 ans, sans autre formation que celle qu’il avait entendue de son père.

    Le Réveil de 1857-1861 amena un million de conversions, estime-t-on, en Grande Bretagne et en Irlande. Il y fit émerger un certain nombre de ces orateurs réputés, entièrement bénévoles. Ils disposaient heureusement de ressources personnelles, tirées de leur profession ou de leur patrimoine. Pour conclure avec Eric Sigsworth, « Les évangélistes, hommes et femmes, étaient de plus en plus des laïcs au milieu du siècle, et cette tendance se retrouvait dans l’abandon des églises au profit des salles publiques lors des campagnes d’évangélisation 1».

    C’était le cas du groupe des « gentlemen evangelists » qui parcouraient le Royaume-Uni et bientôt l’Europe : Lord Rastock, l’aristocrate qui fonda les Églises évangéliques en Russie, Brownlow North et Henry Grattan Guiness, grandes figures du Réveil irlandais, Baptist Noel, l’apôtre de la coopération inter-évangélique en Angleterre, et Reginald Radcliffe, le revivaliste de l’Écosse.

    Intéressons-nous plus particulièrement à ce dernier.

Reginald Radcliffe

Reginald Radcliffe en 1861

    Reginald Radcliffe naquit à Liverpool en 1825 dans une famille d’hommes de loi, profession qu’il gardera toute sa vie. Il expérimenta très jeune une profonde conversion et se lança presque immédiatement dans l’évangélisation en plein air, aux côtés d’un pasteur anglican. Il dut supporter très vite les quolibets, les chahuts, voire même les projections d’ordures, sans compter quelques arrestations momentanées quand un policier estimait qu’il troublait l’ordre public. Il se fixa quelque temps à Prescot après son mariage en 1850. Il organisa chez lui des réunions pour les mineurs de fond encore couverts de charbon, et l’on dut plus d’une fois laver les tapis après des veillées de prière ! Mais les conversions se multipliaient.

    De retour à Liverpool, Reginald Radcliffe loua en 1855 tout un immeuble à l’intention des ouvriers qui, pour la plupart, ne fréquentaient pas une Église. Il réunit une équipe et y tint des réunions en continu, d’heure en heure, tous les dimanches. Il y eut foule. Parallèlement, Reginald Radcliffe et ses collaborateurs improvisèrent des prises de paroles sur les champs de course et dans les foires, non sans une forte opposition qui allait parfois jusqu’à l’émeute. Ces moments de témoignage biblique étaient préparés lors de réunions privées de prières. L’une d’entre elle, près d’Ellesmere Port, prit l’allure d’une nouvelle Pentecôte. Reginald Radcliffe se retrouva allongé sur le plancher : « Ils furent tous remplis du Saint-Esprit, écrivit bien plus tard Mme Radcliffe, les coeurs et les langues furent touchées par l’Esprit de Dieu cette nuit-là2 ».

Le Réveil d’Aberdeen.

    A la nouvelle du Réveil de Fulton Street, notre évangéliste voulut organiser des réunions spéciales à Liverpool. Mais, malgré des débuts encourageants, le public restait encore réservé, comme d’ailleurs dans tout le reste de l’Angleterre. L’Irlande fut touchée la première, puis le Pays-de-Galles et l’Écosse. Tout en restant engagé à Liverpool, Reginald Radcliffe répondit en novembre 1858 à l’invitation d’un ami de sa famille, professeur à l’université d’Aberdeen, qui désirait organiser une campagne d’évangélisation dans la ville. Les débuts furent difficiles, mais, rapidement, aucune salle ne fut assez grande pour contenir les foules. Reginald Radcliffe prêchait trois ou quatre fois par jour en semaine et jusqu’à cinq fois le dimanche dans les écoles, les églises, les lieux publics. Des dizaines de milliers de personnes se convertirent à Aberdeen et les environs. C’est là que Reginald Radcliffe affina son style de prédication : des messages simples centrés sur la personne du Christ, suivis d’un appel immédiat à la conversion.

    Cette insistance sur la « décision instantanée » lui valut l’hostilité d’une partie des pasteurs presbytériens locaux. A vrai dire son style ne plaisait pas à tous. Les étudiants d’un des collèges de la ville refusèrent de l’écouter car il n’était pas pasteur. Les opposants disaient que les « conversions instantanées » ne tiendraient pas, ce qui se révéla faux. D’autres allaient jusqu’à dire que Radcliffe prêchait un Évangile au rabais, une sorte d’antinomisme. Billy Graham essuya exactement les mêmes critiques un siècle plus tard !

    Mais, plus le Réveil s’étendait en cette année 1859, plus l’opposition était désarmée, d’autant que les personnalités locales, comme la duchesse de Gordon, soutenaient l’évangéliste. Une décision du synode national de l’Église presbytérienne approuva finalement la possibilité de prédication par les laïcs. Reginald Radcliffe entreprit dès lors des tournées dans les Highlands puis dans les grandes villes d’Écosse : Inverness, Edimbourg, Dundee, Perth. Là encore, les foules étaient au rendez-vous.

    Le Réveil avait fini entre-temps par atteindre le sud de la Grande-Bretagne. On sollicita Reginald Radcliffe, précédé par la réputation des événements d’Aberdeen, pour des services d’évangélisation, aussi bien à la cathédrale Saint-Paul de Londres que dans les principales villes de l’Angleterre. Il y collabora avec Baptist Noeël, George Muller, Shuldham Henry, Hudson Taylor, devant de vastes auditoires.

    Une nouvelle invitation lui parvint au début de l’année 1861. Madame André-Walther voulait l’accueillir à Paris.

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

1Eric M Sigsworth, In Search of Victorian Values : Aspects of Nineteenth-century Thought and Society, Manchester University Press, 1988.

2Jane Radcliffe, Recollections of Reginald Radcliffe by his wife, Londres, 1896, p. 34.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *