1863 : Eli N. Sawtell quitte Le Havre

Le bel automne d’un ministère international

    Le pasteur Eli Sawtell a passé dix années encore au Havre, lors de son second séjour , de 1853 à 1863. Il avait toutes les raisons d’en être satisfait. Ses rapports annuels, en tous cas, le montrent heureux de son travail dans un port en pleine expansion.

    L’assistance au culte a nettement progressé : « Il y a eu plusieurs additions au Béthel, que ce soient des résidents, des marins ou des voyageurs1 ». De nouvelles conversions l’on réjoui, en particulier chez les gens de mer qui faisaient escale dans le port. Il essaie de développer son projet éducatif en faveur des jeunes matelots. Il a vu aussi avec satisfaction dans les derniers mois son ami Frédéric de Coninck s’engager dans le projet social de l’Hôtel du bon Mousse.

    On sent pourtant alors, chez l’aumônier des marins, comme un ensemble de déceptions ou, tout au moins, de soucis. Sans doute le pasteur Sawtell espérait-il de meilleurs résultats locaux des réunions de Réveil du printemps 1858. Ce qui l’inquiète surtout, c’est le déficit de l’oeuvre qui se creuse progressivement.

    Il avait été convenu, lors de son retour au Havre en 1853, qu’Eli sawtell porterait, à lui seul, la charge du financement du Béthel de la ville. Il était autorisé, pour cela, à quitter périodiquement son poste pendant les tournées financières indispensables à son soutien. Cela concernait notamment, et à titre exceptionnel, de longues visites en Grande Bretagne. Les contacts qu’Eli Sawtell avait noué en Angleterre avaient déjà sauvé l’oeuvre de la banqueroute, et le comité de New-York le savait très bien. « Un arrangement avait été conclu [avec le bureau] quand il était revenu à notre service au Havre, selon lequel il collecterait une part du soutien de l’oeuvre auprès des chrétiens britanniques2 ». On le voit donc franchir régulièrement la Manche pour retrouver les membres d’un comité présidé par W. M. Ferguson, un aristocrate anglais et le Rev. Alexander Munro, de Manchester. La tournée de 1861 a permis de réunir 100 livres, ce qui a comblé une partie du déficit. Il a pu participer pendant plusieurs semaines comme orateur au Réveil qui bouleversait alors l’Irlande du Nord.

    De ce côté, la mission américaine des marins doit faire face à des difficultés de type structurel. Les grands et majestueux clippers ou packets aux larges voiles sont désormais remplacés par des steamers à vapeur et des paquebots mixtes. Le nombre de matelots nécessaires baisse fortement, d’autant que les lignes transatlantiques sont de plus en plus passées entre les mains des armateurs français et anglais. L’aristocratie maritime des capitaines venus de Nouvelle Angleterre, souvent évangéliques et soutiens sans faille du Béthel du Havre, se fait de plus en plus rare. A cela s’ajoute une catastrophe conjoncturelle, la guerre de Sécession. Le blocus maritime qui l’accompagne a tari le trafic du sud des USA, la mobilisation des ressources du nord pour la guerre s’est faite au détriment de la marine de l’Union qui perd définitivement son rang. La Grande Bretagne retrouve pour plus d’un demi-siècle son statut de première puissance maritime.

    Eli Sawtell avait entrevu très lucidement et très tôt ce déclin relatif du pavillon américain. Il prépare donc une translation de son œuvre entre des mains britanniques. Quand il part en tournée, il se fait remplacer par des chapelains du Royaume Uni, comme l’Irlandais Armstrong, en 1860. Ce détachement progressif du pasteur Sawtell concerne également la petite communauté évangélique francophone qui fréquente sa chapelle. On a vu qu’il a laissé Frédéric de Coninck piloter le projet de l’Hôtel du Bon Mousse. Les Français, d’ailleurs, ont moins besoin de sa présence depuis qu’un des postes pastoraux de la paroisse réformée du Havre est pourvu par un homme favorable au Réveil, Henri Amphoux.

    Le temps est donc venu en 1863 pour Eli Sawtell de répondre à l’appel d’un groupe de protestants congrégationalistes qui vient de se constituer en Église dans une station thermale en pleine expansion de l’État de New-York. Fonder une communauté et construire un temple neuf, voilà un projet comme il les aime, et bien propre à enthousiasmer une dernière fois ce grand bâtisseur !

Pasteur, bâtisseur, gestionnaire et pédagogue, toujours !

 

Saratoga springs Sawtell

« Main street » de Saratoga Springs et ses grands hôtels autrefois

   Eli Newton Sawtell quitte donc l’aumônerie des marins du Havre, qu’il confie au Rev. Rodgers, et rentre sur la côte Est des USA où l’attendent ses enfants devenus adultes. Il fonde la First Congregational Church de Saratoga Springs (État de New-York) le 2 mai 1865. Il en reste le responsable jusqu’en 1867. Il sert ensuite de nouveau la Mission de Marins de New-York dans des responsabilités administratives jusqu’en 1869. Sa dernière tâche a été celle de secrétaire financier de Lincoln University (Pennsylvanie) de 1869 à 1873. Le militant abolitionniste de toujours n’abandonne pas la cause de l’émancipation des Noirs : Il supervise maintenant la gestion d’une des deux premières universités ouvertes aux anciens esclaves !

    Eli Sawtell avance en âge. Désormais complètement en retraite, il se retire, probablement auprès de ses enfants, à Brooklyn, puis à New-Market (New-Jersey), et enfin à Statten Island, où il meurt de pneumonie le 6 avril 1885, à l’âge de 85 ans3.

    Un des derniers documents que nous possédions le montre conversant en 1879 avec le général John Eaton, président de la New Hampshire Antiquitarian Society . Ce dernier témoigne : « J’ai passé quelques jours avec lui dans sa maison du New-Jersey, où je l’ai trouvé jouissant d’une vieillesse heureuse et active. Sur ma suggestion, il a fait de cette société le dépôt des archives de sa longue et fructueuse existence […] Il m’a confié tous ses papiers les plus importants, qui comprennent son journal personnel et son courrier entrant et sortant, le plus souvent avec des correspondants très connus des deux continents pendant la première moitié de ce siècle4 ».

   Eli Newton Sawtell, pasteur revivaliste, militant chrétien social, pédagogue, pionnier de l’évangélisation protestante en France et en Italie, traversa huit fois l’Atlantique dans des navires qui portaient des voiles pour exercer son ministère sur nos côtes. Puissent ces quelques articles le sauver de l’oubli…

Jean-Yves Carluer

1The Sailor’s Magazine, juin 1863, p. 22.

2Idem, p. 16.

3Congregational Year book, 1886, p.3 2.

4New Hampshire Antiquitarian Society, Rapport de 1879, p. 96. Avis au chercheur qui voudrait développer un travail sur ce pasteur !

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