Voyages dans les Cévennes avec des Bibles -2

En suivant les missionnaires bibliques…

    Nous poursuivons notre tournée avec les pasteurs Dussaut et Nines en Haute Lozère. Les délégués de la Société biblique parcourent une partie du célèbre itinéraire qui sera celui de Robert Louis Stevenson en 18781 et qui est ouvert aujourd’hui aux randonneurs sous le nom de GR 20.

    Les deux pasteurs missionnaires restent fidèles à leur stratégie : se faire accompagner d’une personnalité locale, en l’occurrence un conseiller général, M. Combet père, puis joindre en priorité d’autres notables communaux et rassembler les Réformés locaux lors d’un culte.

    C’est encore le cas au Pont-de-Monvert, « Église […] d’autant plus intéressante que, depuis près de deux ans, elle est dépourvue de pasteur. Cette partie de la Lozère doit se ressentir encore d’avantage de la privation du Code sacré. Pour satisfaire aux besoins religieux de cette Église, un sermon fut prêché par M le pasteur Dussaut, qui l’accompagna d’une touchante exhortation à former une société biblique. Malgré la pauvreté du pays et le délaissement spirituel où il se trouve, nous réussîmes, avec l’assistance du Seigneur, à organiser une société et à composer un comité, à la tête duquel se trouvent placés MM. Bon-Durand, président, Boissier, notaire et maire, vice-président, et Albaric père, maire du Pont-de-Monvert, dépositaire : trois hommes qui, par leur influence et leurs lumières, peuvent produire le plus grand bien2 »

    Au retour de leurs tournée, les délégués passent par Barre-des-Cévennes où « la formation d’une société biblique présentait des difficultés ». Apparemment aucun notable ne désirait présider l’association locale. Mais, « M. Combet père, qui y était alors heureusement, nous fit trouver dans M. Renouard, notaire, un homme capable à lui seul de ranimer le zèle dans cette Église ».

Bible ancienne dans un intérieur rustique cévenol (Musée du Désert)

Bible ancienne dans un intérieur rustique cévenol (Musée du Désert)

    Un peu plus loin sur leur route, au Pompidou, « l‘absence de notables protestants nous réduisit à conférer avec M le pasteur Pascal3, qui, très bien disposé en faveur des sociétés bibliques, nous assura qu’il en avait déjà entretenu les fidèles […] Si, comme il nous en fit concevoir l’espérance, des personnes aussi recommandables que M. Sablier, ancien sous-préfet, et M. Parlier, propriétaire, se mettent à la tête de l’institution, un succès complet peut être auguré sans crainte... » Ce fut effectivement le cas. Au printemps suivant, Jean-Pierre Pascal présenta au comité de Paris une description de sa paroisse à la fois rustique et idéalement pieuse : « La lecture des rapports et des bulletins de la société […] a réveillé les besoins et réchauffé le zèle. Nos paysans se montrent désireux d’acquérir la Parole de vie ; presque tous savent lire, tous entendent le français mieux qu’ils ne le parlent, tous lisent la Bible de préférence à tout autre livre et chantent avec joie les hymnes de David. Il n’est pas rare, dans les longues veillées de l’hiver, d’entendre les chaumières enfumées et seulement éclairées par un tison de pin résineux, retentir des cantiques sacrés qu’entonnent les ménagères, en tournant le fuseau qui file la laine bure dont se pareront le mari et ses enfants pour célébrer la fête de Pâques… »

Une dynamique soutenue

    Nos deux missionnaires bibliques rentrèrent par Sainte-Croix-Vallée-Française où, là encore, ils composèrent un comité provisoire avec l’aide du ministre local du culte, le jeune Louis Ribard4. Les besoins en Bibles y étaient considérables5. Les protestants du lieu ont pu écrire, quelques mois plus tard, en implorant un don de la société parisienne, « Depuis que M. Ribard, notre pasteur, a annoncé du haut de la chaire qu’une société biblique était organisée, on nous a fait une grande demande de Livres saints, mais nous avons été dans l’impossibilité d’y satisfaire, étant entièrement dépourvus de Bibles et Nouveaux Testaments ».

    La tournée avait été un succès : Les deux délégués avaient posé les bases de plus d’une dizaine de sociétés branches et ranimé quelques autres qui entraient peu à peu en léthargie.

    Au même moment, leur collègues de Montpellier, le pasteur Michel et l’officier de Marine Bros de Puechredon visitèrent l’Hérault et se rendirent à Bédarieux tout comme dans les villages vignerons de Faugères, Montagnac, Saint-Pargoire et Saint-André-de-Sangonis. Ils purent poser partout les bases de nouvelles sociétés branches.

    L’année 1826 se terminait par une sérieuse expansion du maillage biblique dans les terres protestantes du Languedoc, d’autant que le réseau existant du Gard faisait tâche d’huile, notamment en direction d’Aumessas, Saint-Jean-de-Maruejols, Saint-Just-de-Vaquières, Seynet, Brouzet, Navacelles et Bouquet… Selon le pasteur G. Encontre, qui avait pris en charge ces communes où se trouvaient des protestants disséminés, « le succès dépassa presque mon attente6 ».

    Mais il ne faut se garder d’idéaliser. Certaines paroisses restent encore systématiquement absentes des rapports, signe qu’une franche opposition continue à s’y manifester. Ailleurs, c’est l’analphabétisme généralisé qui bloque la distribution biblique. Ou bien, comme le signale le pasteur Vincent, l’extrême pauvreté qui sévit souvent, comme c’est le cas à Vébron : « Les Bibles ou Nouveaux Testaments n’ont pu être vendus qu’à prix réduit, attendu que les personnes aisées en étaient déjà pourvues7 ».

    Il restait encore beaucoup à faire !

Jean-Yves Carluer

1R. L. Stevenson, Voyages avec un âne dans les Cévennes, 1878.

2Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, 1826, p. 70

3Jean-Pierre Pascal, né en 1788, pasteur au Pompidou, sa commune natale, depuis 1819.

4Louis Clément Ribard (1800-1884), pasteur à Sainte-Croix-Vallée-Française depuis 1825.

5Bulletin…, 1827, p. 5.

6Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, 1827, p 111.

7Idem, p. 6.

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