Trouver des collecteurs en pays pyrénéens -2

Mission biblique en Ariège (1827).

    La mission de « Réveil biblique » entreprise par le pasteur César Chabrand à la demande du comité de Paris dans le Pays de Foix est tout à fait spéciale. Nous lui consacrons deux articles.

    La situation des paroisses protestantes des pays de l’Arize (affluent de la Garonne) et de la chaîne pré-Pyrénéenne du Plantaurel est assez unique dans le Midi de la France. Ces fortes communautés étaient bien vivantes, quoique isolées. Elles ont été très tôt marquées par le Réveil et le courant évangélique à l’intérieur du Calvinisme, et le sont restées dans une certaine mesure jusqu’à aujourd’hui. Selon l’historien Daniel Robert, à l’époque qui nous intéresse, c’est-à-dire la Restauration, « Le département de l’Ariège est « bien pourvu en pasteurs, en ayant d’excellents… Les Églises de l’Ariège ont été des centres de Réveil1 ». De nos jours, au XXIe siècle, un certain nombre de ces paroisses sont membres de l’UNEPREF2.

César Chabrand

Le pasteur César Chabrand (1780-1863) à la fin de sa vie.

    Le pasteur César Chabrand, (1780-1863), alors encore quadragénaire, président du consistoire de Toulouse depuis 1807, apparaissait comme un véritable évêque pour les départements de la Haute-Garonne, du Gers et de l’Ariège, terres de ses aïeux. Sa légitimité était multiple et incontestable : il avait fait protéger les protestants du Sud-Ouest dès 1814 par les troupes de Wellington, il avait l’appui des préfets et eut très tôt un accès direct aux initiatives éducatives et revivalistes britanniques grâce à son épouse anglaise. Correspondant direct de la Société biblique de Londres, il fut un des instigateurs de l’édition de la Bible Martin avant même que se fonde la société de Paris. Dernier atout, qui lui causa beaucoup de souffrance, il bénéficiait de l’aura de sainteté qui avait été celle de sa fille Estelle, très active mais très tôt disparue… C’est dire si César Chabrand était reçu dans le pays de ses pères comme un véritable prophète.

     Dernier élément nécessaire pour comprendre la quasi-unanimité des protestants de la région à le suivre, l’Ariège était très différente du Gard sur le plan politique. Les Cévenols étaient naturellement contestataires, volontiers réfractaires au service militaire sous Napoléon et encore plus opposants aux rois Bourbons. Les protestants ariégeois, par contre, se rangeaient toujours sous la bannière de seigneurs dont les ancêtres avaient mené la résistance derrière Henri de Rohan contre Louis XIII et le Maréchal de Thémines. Deux siècles plus tard, ces familles de notables étaient acquises aux projets de César Chabrand.

    Le pasteur de Toulouse avait compris très tôt que l’enjeu essentiel de la diffusion biblique n’était plus l’édition et l’impression mais bien la distribution. Il avait d’ailleurs eu l’idée de faire vendre les Écritures par les mêmes colporteurs qui proposaient à travers tout le royaume les petits livrets de contes et de récits populaires traditionnels que l’on appelait la « Bibliothèque bleue ». Ce premier projet avait échoué. Mais en 1827, une autre opportunité apparaissait, patronnée par les sociétés bibliques : mobiliser les élites protestantes du pays de Foix et les enrôler comme collecteurs. Si des sociétés bibliques locales existaient depuis quelques années, la distribution restait décevante. Le système des collecteurs accélérerait considérablement la diffusions de la Bible, d’abord chez les Réformés, mais plus tard, pourquoi pas, parmi les Catholiques. César Chabrand ne manquait pas de projets, on le verra bientôt.

Jean-Yves Carluer

    Pour ceux qui désiraient le lire, voici le début du rapport du pasteur de Toulouse  au comité de Paris:

    « …. Je partis d’ici le 25 août. Le soir du même jour, dès mon arrivée au Mas-d’Azil, je priai M. le pasteur Vieu, secrétaire de la Société biblique, de vouloir bien provoquer une réunion du Comité, augmenté d’un certain nombre de notables, pour le lendemain, dimanche, à huit heures du matin. Le comité se trouva effectivement assemblé à peu près à cette heure, sous la présidence de M. Edmond d’Amboix qui s’était hâté de revenir pour cela de la campagne3. Après une prière d’ouverture, M. le président m’ayant invité à parler, je fis part au comité de l’objet de ma mission ; je leur proposai, comme vœux de votre part, la formation d’associations bibliques, l’institution de collecteurs et de collectrices, celle du syndicat, l’individualité et la mensualité des souscriptions. Je m’appliquai à rendre sensible l’effet moral de ces modes d’organisation. Cela fut tellement bien compris, grâce au Seigneur, que vos propositions furent non-seulement adoptées à l’unanimité, mais que l’on délibéra qu’en sortant du comité à onze heures, on se rendrait au temple pour y tenir une assemblée générale biblique, profitant pour cela de la réunion du peuple pour la célébration du culte. Je témoignai le désir que l’on renvoyât cette assemblée à l’après-midi, afin que l’office divin pût être célébré comme de coutume; mais on jugea convenable de le transformer en assemblée biblique. Je me trouvai en chaire, devant plus de mille personnes, et, après des prières et des chants exécutés à quatre parties avec beaucoup d’harmonie, je parlai au peuple environ une heure sur Deutéronome VI, 6 à10, lui faisant sentir le prix de la Parole de Dieu, l’importance de l’œuvre pour sa distribution, et lui expliquant les avantages des moyens qui lui étaient proposés4. Cette action fut sensiblement bénie. Je ne dois pas oublier de dire que M. d’ Ounous, député de l’Ariège, qui s’était rendu au Mas-d’Azil, avait tout-à-coup paru au milieu du comité pendant la séance et n’avait pas peu contribué par ses exhortations à faire accueillir les propositions que j’avais eu l’honneur de faire de votre part5. Le comité voulut bien s’assembler de nouveau l’après-midi du même jour du dimanche. II fut fait alors un recensement de tous les membres de l’Église, une division de sa population en huit associations d’hommes et huit de femmes. Il fut désigné seize collecteurs avec leur syndic; ces collecteurs furent associés deux à deux, et il leur fut distribué les listes des maisons qu’ils étaient appelés à visiter. M. le pasteur Vieu, l’un des collecteurs, a accepté la charge de syndic, et a bien voulu s’offrir à ses collègues pour faire avec chacun d’eux successivement leur première visite ; c’est d’un très bon effet et digne, surtout dans les campagnes, d’être proposé en exemple à tous les pasteurs.

 

La sortie de l'Arize de la grotte du Mas-D'Azil, refuge traditionnel des hommes, depuis le Néolithique jusqu'au XVIe siècle.

La sortie de l’Arize de la grotte du Mas-D’Azil, refuge traditionnel des hommes, depuis le Néolithique jusqu’au XVIe siècle.

   Le lundi matin 27, j’eus une séance particulière avec MM. les collecteurs pour leur donner des instructions, leur remettre des livrets, et déterminer le jour où ils commenceraient leurs visites. L’après-midi à quatre heures, j’eus l’avantage de me trouver réuni avec vingt-six dames pour la formation de leur bureau. Toutes voulant contribuer personnellement à cette bonne œuvre, elles se chargèrent de visiter trois à trois les huit associations. Madame de Lasserre6 jeune fut choisie pour être leur dame syndic ou trésorière; leur première visite, ainsi que celle des collecteurs, s’est effectuée avec beaucoup de succès dès le dimanche suivant.

    Le mardi matin 28, je me rendis, accompagné de M. le pasteur Vieu et de M. d’Ounous, à Gabre, petite Église dans les montagnes, à deux lieues du Mas-d’Azil. Cette Église compte une population d’environ quatre cents âmes dispersées sur des coteaux élevés et arides, occupant un espace de plus de deux lieues de diamètre. Le consistoire se constitua en comité biblique; il adopta les propositions qui avaient été adoptées par celui du Mas-d’Azil, sauf celle pour la formation d’associations de dames; on en forma six pour les hommes comprenant tous les protestants de l’un et de l’autre sexe, et on nomma douze collecteurs, qui, se trouvant présents, acceptèrent avec joie leur charge après avoir recueilli quelques directions sur les devoirs qu’elle impose. Des listes furent faites, et des livrets furent distribués.

    Le mercredi, 29, nous nous rendîmes le matin, M. Vieu et moi, à Sabarat, où nous étions attendus par M. d’Ounous et MM. Lafont père et fils, pasteurs. Dès notre arrivée, le comité, augmenté de plusieurs notables auxquels on joignit par invitation quelques dames, s’assembla chez M. le pasteur Lafont. Là, les mêmes propositions furent faites, les mêmes explications furent données, et les mêmes mesures furent délibérées et prises immédiatement.

    Nous passâmes la nuit à Sabarat. Dès le lendemain matin, jeudi 30, nous fûmes à pied, étant accompagnés de plusieurs personnes, aux Bordes, autre paroisse dans le beau vallon de Sabarat qui compte de onze à douze cent protestants7. M. d’Ounous, dont le zèle ne se ralentit jamais, s’y était rendu dès le bon matin pour y préparer les voies. Nous obtînmes une assemblée de douze ou quinze notables; nous leur exposâmes vos vœux relativement à leur organisation biblique, et il plut à Dieu d’incliner leur cœur non seulement à former dans leur Église des associations, mais aussi à y établir une nouvelle société branche de celle du Mas-d’Azil. Ces organisations furent faites immédiatement; on nomma un président, un trésorier, un secrétaire, et sept assesseurs qui, tous, étant présents, acceptèrent leur charge avec plaisir. On fit ensuite, selon l’usage et selon la nécessité dans toutes ces séances, un recensement de tous les membres de l’Église, après quoi on forma douze associations, six pour l’intérieur du bourg et six pour les hameaux qui en dépendent ; vingt-quatre collecteurs furent nommés ainsi que leur syndic, et on indiqua une assemblée générale du peuple pour le même soir à huit heures. On vit, à cette heure-là, dans le vaste et beau temple que les protestants de cette Église ont bâti dernièrement à leurs frais, une assemblée telle qu’on n’en avait pas vu depuis longtemps. Le 40e chapitre du prophète Ésaïe me servît de texte pour parler à ce peuple de ses intérêts spirituels; il était près de onze heures lorsque nous nous retirâmes.

    Le vendredi 31, nous fûmes de bon matin sur pied, ayant le dessein de nous rendre dans une paroisse appelée Camarade, éloignée du lieu où nous étions d’environ trois heures de chemin. Cette Église, composée de neuf cents protestants répandus sur un espace de deux lieues de diamètre, est une annexe de l’Église du Mas-d’Azil qui se compose elle-même de plus de mille quatre cents âmes. Tout ce que M. le pasteur Vieu peut faire pour Camarade, est d’y aller une fois tous les mois à un dimanche déterminé pour y prêcher. Après avoir, attendu quelque temps devant le temple, on nous introduisît dans une petite chambre d’une maison voisine où devait se tenir l’assemblée de notables que nous avions provoquée ; peu à peu il en arriva effectivement quelques-uns, et enfin nous fûmes en assez grand nombre pour pouvoir tenir notre séance. Je commençai, selon l’usage, par une prière, ensuite je parlai de l’objet de ma mission ; vos propositions furent adoptées. L’on fit un recensement des protestants de la commune; on créa, selon les quartiers, neuf associations bibliques, et l’on nomma dix-huit collecteurs. Nous retournâmes de là au Mas-d’Azil, où nous arrivâmes vers les neuf heures et demie du soir8.

(à suivre)

1Daniel Robert, Les Églises réformées en France (1800-1830), Paris, 1961, p. 482.

2UNEPREF : Union nationale des Églises Protestantes Réformées Évangéliques de France.

3Les d’Amboix de Larbont sont de riches propriétaires du Mas d’Azil, très présents depuis le XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui dans le protestantisme du Mas d’Azil. Edmond est alors président de la société biblique auxiliaire, Philippe en est membre, Victor, maire de la commune, en est le trésorier. Sur cette famille, consulter le Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, (dir. Patrick Cabanel et André Encrevé), tome 1 : A-C, Les Éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2015, p. 52-53

4Texte bien connu du livre du Deutéronome parmi les protestants : « Et ces commandements, que je te donne aujourd’hui, seront dans ton coeur. Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras. Tu les lieras comme un signe sur tes mains, et ils seront comme des fronteaux entre tes yeux. Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes ».

5Jacques Henri Eleonor d’Ounous d’Andurand (1778) était un très grand propriétaire terrien du canton de Saverdun. Maire de Saverdun. Président de la société d’agriculture du département, il était alors député légitimiste mais évolua en défaveur du parti ultra. Il fit partie des 221 élus qui firent chuter le régime en 1830 et ne se représenta pas. D’Ounous était favorable au Réveil et fit désormais partie de diverses institutions protestantes comme la Société des Livres Religieux de Toulouse, fondée par son ami César Chabrand.

6Les Lasserre, du nom d’une grande propriété rurale de la région, était des notables protestants du Mas-d’Azil. Frédéric Lasserre a été nommé maire de la commune entre 1839 et 1842.

7Les Bordes-sur-Arize (Ariège). C’était la commune natale de l’historien Napoléon Peyrat (1809-1881), chantre de la mémoire albigeoise.

8Lettre de César Chabrand au comité de la Société Biblique de Paris, 12 mai 1827, in Bulletin de la Société Biblique Protestante de Paris, novembre 1827, p. 74-76.

Ce contenu a été publié dans Histoire, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *