Le Havre, 1865-1880 :

Un temps de grandes mutations

    Le retour aux États-Unis du pasteur Eli N. Sawtell ouvre une période de profondes mutations pour l’aumônerie des marins protestants du port du Havre. A vrai dire, ces évolutions structurelles étaient déjà en cours à la fin des années 1850, et seule la forte personnalité du pasteur, ses contacts et son réseau avaient permis de retarder les échéances.

Celles-ci sont désormais rendues plus urgentes par la conjoncture. La décennie 1861-1871 accumule les périodes de conflits. La Guerre de Sécession, d’abord, frappe la marine américaine, de 1861 à 1865. Certains épisodes navals se déroulent même devant les côtes normandes, nous le verrons bientôt. Plus globalement le trafic du coton s’interrompt momentanément entre le Sud des USA et l’Europe. Or, les marins partis de la Nouvelle-Orléans ou de Charleston représentaient une partie de l’assistance du Béthel du Havre… Le trafic des armateurs du Nord est durablement atteint également. Les packets de New-York, grands fournisseurs d’officiers évangéliques, se font d’autant plus rares que le progrès technique les remplace progressivement par de grands steamers à vapeur. Les rapports de la Mission américaine des marins, qui a été pourtant à la pointe du combat pour l’émancipation raciale, relate ses difficultés à attirer dans ses locaux la toute dernière catégorie de gens de mer embarqués de l’autre côté de l’Atlantique : les chauffeurs noirs, pour la plupart analphabètes, devenus les forçats de la vapeur.

    A peine remis du choc de la guerre de Sécession, le Béthel du Havre affronte de nouveaux troubles. Il s’agit cette fois de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Les besoins de la défense nationale ont, tout d’abord, stimulé les importations. Mais dès l’automne, les succès de Bismarck étouffent le trafic avant de menacer la ville. Dans les mois qui suivent le traité de Francfort, la situation économique du port reste indécise : « La confusion qui entoure les affaires de l’État nous affecte considérablement, produisant un manque de confiance dans le domaine du commerce et diminuant sensiblement le trafic » note l’aumônier, qui ajoute cependant que l’affluence reste forte au Béthel et qu’il « a la satisfaction d’entendre que les réunions sont appréciées et bénies1 ».

Le Havre Eglsie norvégienne

L’église luthérienne norvégienne du Havre autrefois

    Après ces soubresauts, l’agglomération havraise reprend une forte expansion sur l’ensemble de la période 1865-1880, passant de 70.000 à 100.000 habitants. Les activités du port, les ateliers et usines, attirent nombre de migrants, dont beaucoup sont protestants. Le flux traditionnel d’Alsaciens et d’Allemands se renforce encore. Le Havre est un port d’embarquement pour l’Amérique qui draine les populations d’Europe centrale. Plusieurs de ces migrants décident de se fixer dans la ville, d’autant que la paroisse réformée organise des cultes en allemand assurés par le pasteur Burghard. Autre flux qui se renforce, celui des marins scandinaves en escale. « Ils ont bénéficié d’un culte dans la chapelle pendant plusieurs dimanche, à titre expérimental », note encore l’aumônier américain en 1872. Trois ans plus tard, la Mission norvégienne des marins ouvre une chapelle près du Bassin du Commerce et même ensuite un foyer pour gens de mer.

    Au cours des années 1860, la proportion des marins britanniques fréquentant le Béthel était devenue prépondérante. Eli N. Sawtell avait même passé un accord avec un comité anglais en ce sens, car les matelots anglais ne possédaient pas encore une escale dans le port du Havre.

    Mais, progressivement la situation change. L’Église d’Angleterre avait ouvert en 1850, rue d’Orléans, un lieu de culte d’importance en 1850. Il est remplacé en 1869 par un grand bâtiment de style classique. La communion anglicane a décidé de se doter sur le continent d’un réseau de chapelles et d’églises consulaires dans toutes les grandes escales fréquentées par les sujets de la Couronne. Là encore, les œuvres sociales suivent : une salle de lecture, puis un grand sailor’s home qui accueille les marins en transit.

    La Mission des marins de New-York n’est plus qu’un acteur parmi d’autres sur les quais du Havre. « [Notre] salle de lecture est moins utilisée que l’année passée, écrit Henry Rogers en 1872, du fait que les Anglais en ont ouvert une autre à un emplacement plus commode2 » Du coup, l’aumônier américain doit compter de plus en plus sur son colporteur, Pohlman, pour contacter les marins de son pays et les conduire à son Béthel. Faut-il poursuivre l’oeuvre dans ces conditions ?

Jean-Yves Carluer

1Rapport du Rev. Henry Rogers, The Sailor’s Magazine, 1872, p. 214.

2Idem, p. 214.

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