Des Bibles pour les protestants de l’Ouest -1

Des Poitevins privés des Écritures ?

     Les Réformés des consistoires de l’ouest de la France vivent en 1820 un temps de disette aiguë des Écritures. Si l’on excepte les habitants des villes où se concentrent les notables protestants, Nantes ou La Rochelle, les paroisses sont presque entièrement dépourvues de Bibles.

     La vie spirituelle des 60.000 Calvinistes du Poitou, Aunis et Saintonge, qui étaient des foyers de ferveur et de culture protestante au temps de l’académie de Saumur s’est durablement affaiblie, comme épuisée par de trop longues décennies de persécution et d’isolement. La province du Poitou, tout particulièrement, où la population huguenote se concentre dans les cantons des Deux-Sèvres entre Niort et Poitiers que l’on a appelé « l’oeuf protestant », est affligée d’une réputation récurrente de tiédeur et de superficialité. Au début du XXe siècle encore, les pasteurs qui écrivent dans Le Journal de l’Évangélisation, organe très officiel de la Société Centrale Évangélique, multiplient les cris d’alarme et appellent à considérer les arrondissements de Niort, Melle et Parthenay comme des terres de mission. Quant aux campagnes de l’arc charentais, le protestantisme semble en être largement éradiqué. On peut, il est vrai, remarquer, comme le fait Nicolas Champ dans sa thèse1, que la ferveur catholique est également bien pâle en ces contrées. Les plateaux calcaires offriraient-ils des sols stériles pour la foi ? La remarque n’est pas vraie partout : un peu plus au nord, en Vendée cristalline, dans ce que l’on appelait autrefois le Bas-Poitou, la langueur des paroisses réformées rescapées de la persécution, comme Mouchamps ou Pouzauges, offre un singulier contraste avec la ferveur catholique.

     En ce début du XIXe siècle, l’ensemble du protestantisme de la région semblait devoir être réfractaire au mouvement biblique, et pour plusieurs raisons.

De sérieux handicaps

– Les huguenots poitevins sont pauvres et isolés. Ils ont développé une stratégie de survie sous forme de repli identitaire pour mieux résister à la persécution et aux tentations d’apostasie. Partout, ils se sont comme enfouis dans la glèbe, délaissant le plus souvent les chef-lieux communaux pour s’éparpiller dans divers hameaux. Ils ont préféré que leurs enfants deviennent analphabètes plutôt que de les confier aux écoles catholiques. « Le manque d’instruction élémentaire est aussi l’un des grands obstacles que l’institution biblique a à surmonter. M. le pasteur Germain a dit, au sein de la Société biblique de Saint-Maixent auprès de laquelle il était député par celle de la Vendée, que, dans son département, à peine sur dix personnes y en a-t-il une qui sache lire passablement. «Bien des fois, a-t-il ajouté, quand nous offrions le Livre du Salut, on nous a fait cette décourageante réponse : Donnez-le à un autre qui puisse en profiter, car pour moi je n’ai pas le bonheur de savoir lire2».

temple de Niort

Le temple réformé de Niort. Ancienne église des Cordeliers devenu bien national pendant la Révolution et désaffectée, l’édifice a été mis à disposition de la communauté protestante en 1804.

     Ce retard culturel a une autre conséquence pour les paroisses. Le réseau des notables réformés, mis à mal par les fuites et les abjurations qui ont suivi la Révocation, y est lâche et de peu d’éclat. Or l’on sait le rôle moteur des « Grands laïcs » protestants dans l’établissement des sociétés religieuses du XIXe siècle.

– Les pasteurs eux-mêmes sont très peu nombreux, même après 1820. En ce début du XIXe siècle, ce sont, soit des représentants des quelques clans pastoraux en place3, soit des jeunes venus d’ailleurs, frais émoulus de la faculté de Montauban, qui vivent leur affectation comme une sorte de bizutage ecclésial qu’il faut supporter avant de pouvoir repartir vers des cieux plus cléments. Il n’est pas aisé d’être ministre de l’Évangile en Poitou : c’est passer tout son temps sur les routes ou plutôt les mauvais chemins, sans moyen de transport car les salaires sont très faibles. Pour reprendre une réflexion du consistoire de La Mothe-Saint-Héray, « La plupart des pasteurs, peu favorisés des avantages de la fortune, vivent dans un état de gène préjudiciable au bien de l’Église et à leur propre considération4 ». En résumé, les ministres du culte n’ont ni le temps, ni les moyens, de s’engager dans les nouvelles sociétés religieuses !

– Les 35.000 huguenots des consistoires poitevins, ceux des Deux-Sèvres : Lezay, Niort, Saint-Maixent, La Mothe-Saint-Héray, Rouillé, et ceux de la Vienne (Lusignan) et de la Loire-inférieure (Nantes) auxquels on a rattaché les Vendéens, sont aussi nombreux que leurs coreligionnaires de la Drôme ou de l’Ardèche. Or, ils sont longtemps passés à côté des grandes initiatives protestantes du premier XIXe siècle, la construction des temples et le développement du Réveil. Sauf dans quelques cités comme Niort, on s’y réunit encore dans des granges, et seulement occasionnellement, car les pasteurs ne les visitent pas tous les mois. On ignore à peu près tout de ce qui se passe à Genève et, a fortiori, à Londres.

     Pourtant, malgré ces lourds handicaps, le mouvement biblique s’est très tôt implanté en Poitou rural, dès 1819 et 1820, de façon plus précoce même que dans une ville comme La Rochelle. L’ampleur du besoin a suscité et fédéré l’énergie de quelques pionniers.

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

1Nicolas Champ, La religion dans l’espace public. Catholiques, protestants et anticléricaux en Charente-Inférieure au XIXe siècle, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2010

2Rapport annuel de la Société Biblique Protestante de Paris, 1830, p. 15. Il s’agit de Jan René Germain, 1797-1876, d’origine vendéenne, pasteur à Fontenay-le-Comte puis Pouzauges.

3L’expression est de Pierre Dez, « Clans pastoraux en Poitou au XIXe siècle », Bulletin de la Société de l’histoire du Protestantisme Français, 1977, p. 249-257.

4Archives départementales des Deux-Sèvres, 12 J 4, délibération du consistoire de la Mothe-Sainte-Héray, 6 août 1857.

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