Des derniers aumôniers américains du Havre

Le chant du cygne  de la mission de New-York

Le Béthel du Havre poursuit son œuvre auprès des marins étrangers pendant une vingtaine d’années après le départ du pasteur EN. Sawtell, mais l’oeuvre est clairement sur le déclin, sauf à  la fin. La Mission des marins réduit progressivement son budget. Le comité de New-York a réussi néanmoins à pourvoir Le Havre d’un aumônier pratiquement sans interruption de 1864 à 1885.

Le combat de l’Alabama et du Kearsarge devant Cherbourg en 1864. La barque au premier plan est une des nombreuses embarcations louées par des curieux désireux de s’approcher de l’affrontement. Tableau de Manet.

Un des moments forts du ministère d’Henry Rogers est l’accueil au Havre, en 1864 d’une trentaine d’hommes faits prisonniers par le fameux corsaire sudiste, l’Alabama. Ce bâtiment avait dû les relâcher, selon les conventions internationales, pour faire escale à Cherbourg. On sait que l’Alabama a été coulé, peu après, par l’USS Kearsarge, le 19 juin 1864. L’affaire fit grand bruit et impressionna fort la petite communauté des marins du Havre. La situation des anciens prisonniers « avait excité la bienveillance de la plupart des Américains de la ville. Un pauvre équipier est à l’hôpital. La nouvelle nous était arrivée avant le service du dimanche soir et s’ajouta à nos nombreux sujets d’actions de grâces. Le thème de l’après-midi avait été « Et toi, combien dois-tu ? (Luc 16, 7)1 ».

Le dédoublement des lieux de réunions entre la chapelle de la rue de la Paix et la salle de lecture sur le port reste plus que jamais un des handicaps de la mission des marins. Les matelots se dirigent souvent le soir en groupe vers le beau quartier de la mairie, du lycée, du temple et de la chapelle américaine. Ils ne manquent pas d’attirer l’attention. « Le nombre de gens de mer qui se dirigent la nuit tombée vers notre lieu de culte semble avoir attiré la curiosité sinon la suspicion des voisins. Mais leur attitude rassure : « Nous aimerions que tous les matelots américains fréquentent votre local, disait un sergent de ville, car nous avons bien des ennuis avec ceux qui vont ailleurs2 »

Un fructueux retour aux sources…

Effectivement, les années passant, l’assistance devient de plus en plus clairsemée. « L’assistance aux réunions du Béthel a été plutôt faible ». écrit  par exemple, le pasteur H. Rogers en 18793.

Le comité de New-York relève en 1882 le pasteur Rogers, vieillissant, par « un nouveau missionnaire, C. J. Heppell, très populaire parmi les marins 4». C’est un pasteur anglican qui se montre très actif et multiplie les réunions à bord des navires. Le nouvel aumônier ne parle plus de la chapelle américaine, qui a été vendue à l’Alliance Évangélique du Havre. Les services dominicaux se tiennent désormais dans le salon d’un des Royal Mail Steamers. Les paquebots à vapeur étant beaucoup plus grands que les anciens packets à voile, ce retour aux sources du mouvement Béthel permet de rassembler jusqu’à 80 marins. « J’organise souvent ensuite, écrit C. J. Heppel, une deuxième réunion sur un autre grand bâtiment. Les officiers et les hommes des Southampton steamers m’y accompagnent, portent mon petit harmonium, et m’aident pour les chants et les dialogues. Nous avons eu quarante bateaux anglais rassemblés ici chaque dimanche au cours de l’automne dernier. Nous avons organisé des services en plein-air qui m’ont rappelé mon ministère en Angleterre, à Whitby5. Plusieurs centaines de Français se pressaient sur les quais pour écouter la musique. Ils étaient très silencieux et respectueux pendant tout ce temps-là. Quand je retournais à terre après la réunion, j’étais pressé de toutes parts, pour distribuer des tracts en français. Je suis souvent interpellé ainsi quand je circule le long des quais».

[…] J’ai rendez-vous chaque soir avec les hommes à la salle de lecture pour des conversations plus approfondies. Là, ils ouvrent également leur courrier, en prennent connaissance et rédigent leurs réponses. Nous mettons à leur disposition du papier, des enveloppes et des timbres. Ils lisent les journaux, des livres, ils fument, ils discutent, conversent, organisent des jeux et souvent de la musique. Ils sont tout-à-fait chez eux ici. L’assistance a largement augmenté. Nous avons des réunions de tempérance chaque dimanche soir, au cours desquelles 70 hommes ont signé un engagement d’abstinence. Ces activités offrent également une alternative aux cafés avec les boissons et toutes sortes de choses mauvaises. Le dimanche soir, nous avons un service musical de 7 heures et demi à 9 heures, suivi d’une courte réunion jusqu’à 10 heures. Nous avons souvent jusqu’à 80 marins présents6  ».

Avec une programme aussi dense, le pasteur C.J. Heppell peut s’enorgueillir d’un bilan annuel impressionnant qu’il relate avec précision. Durant l’année 1883, en 2136 heures, il a visité 686 navires, contacté 12455 hommes, reçu 10409 visiteurs dans la salle de lecture, signé avec eux 70 engagements de tempérance, vendu 20 exemplaires des Écritures et distribué des milliers de tracts…

Pourtant, comme c’est parfois le cas des œuvres missionnaires, les contraintes financières peuvent agir comme des couperets, alors même que les résultats outre-mer sont florissants. Les USA sont alors frappés par ce que l’on a appelé la Grande dépression. La Mission des marins de New-York rencontre des problèmes financiers et choisit d’abandonner le soutien de C. J. Heppel, qui s’est révélé pourtant un évangéliste très efficace. Rançon du succès ou constatation que les auditoires ne sont plus majoritairement américains ? De nouvelles œuvres évangéliques et un grand sailor’s home dépendant de l’Église d’Angleterre prennent alors le relais.

Jean-Yves Carluer

1The Sailor’s magazine, 1865, p. 14.

2The Sailor’s Magazine, 1875, p. 14.

3Idem, 1878, p. 272.

4Idem, 1883, p. 214.

5Whitby est un petit port de la côte nord du Yorkshire, ce qui laisse à penser que l’aumônier était issu de l’Église d’Angleterre et qu’il était simplement soutenu financièrement par la Mission de New-York.

6Idem, 1883, p 215.

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