L’Évangile en récits populaires -2

1821 : une Société des Traités Religieux à Paris

    Quand, le 15 avril 1823, le banquier Henri Lutteroth relate les premiers pas de la distribution de traités religieux en France, il relate qu’au cours de ces mois « les succès obtenus ont surpassé son attente1 ».

    Le contexte était, il est vrai, éminemment favorable. Le rapide essor de la Religious Tracts Society, de Londres, avait démontré que la distribution à très grande échelle de petits opuscules populaires destinés à compléter les éditions bibliques répondait à un large besoin.

« Tels sont les traités imprimés […]: ils contiennent tous les riches promesses, les magnifiques espérances, les consolantes doctrines de l’Évangile ; tous, la Bonne nouvelle de Jésus-Christ, mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification ; cette base, cette vérité fondamentale du christianisme2.

    Le comité de Paris, dirigé par Henri Lutteroth, avait soigneusement pris soin, à l’exemple des Britanniques, de déminer la route des principaux pièges qui pouvaient faire échouer le projet. Le premier était le risque de toute polémique religieuse qui aurait fatalement déclenché l’hostilité du clergé catholique et l’opposition du gouvernement.

    « On n’y trouve, d’ailleurs, que les principes communs aux chrétiens de toutes les communions, parce que nous avons désiré que le catholique et le protestant puissent également les lire avec édification, et sans être arrêtés, soit par les usages d’un culte différent du leur, soit par des expressions qui leur sont étrangères. En effet, en laissant de côté les points de controverse sur lesquels l’Église de Jésus-Christ n’est pas d’accord, il reste encore assez pour entretenir la piété dans la doctrine généralement admise de la Rédemption, assez pour stimuler à la pratique de nos devoirs dans les belles et touchantes leçons du Sauveur3 ».

    Le comité se situe clairement dans l’esprit d’aimable pré-oecuménisme qui était celui de la Société de la Morale Chrétienne : La présentation du Salut éternel et de la conversion est clairement celle du Réveil évangélique. Mais les traités présentés ne font aucune allusion aux pratiques des différents cultes, que ce soit pour les approuver ou les critiquer. Cette censure volontaire représente un des défis de l’entreprise.

Illustration du traité « La tentation du pauvre ». Les brochures de la Société de Paris sont illustrées de gravures sommaires

    Le deuxième écueil se situait au niveau des enjeux politiques. N’oublions pas que la France vivait alors une phase particulièrement autoritaire de la Restauration monarchique, dans un contexte d’épuration politique consécutif à l’assassinat du duc de Berry, l’héritier du trône ! Les lois interdisent formellement, sous peine de lourdes poursuites, toute distribution de littérature ! Il n’était pas question que transparaisse des récits toute allusion politique qui aurait entraîné une dure répression.

    « Le comité a adopté, pour l’admission des traités, une marche à laquelle sa lenteur même sert de garantie. Après avoir été lus dans une séance générale, les manuscrits circulent à domicile chez tous les membres du comité; ils sont soumis à leur critique, renvoyés ensuite à une commission spéciale, qui les refait souvent presque en entier d’après les remarques qui ont eu lieu ; et ce n’est qu’à la suite de ce long travail préparatoire qu’ils sont définitivement admis ou rejetés 4».

    Les traités, pour la plupart d’origine britanniques devaient également être soigneusement expurgés de toute polémique sociale. Seule et intéressante exception, la société a répandu sur les côtes française une brochure anti-esclavagiste intitulée Cruautés de la traite des noirs. Le comité, sous la pression du pasteur MarkWilks, a donc osé, dès l’origine, « éclairer l’opinion publique sur cet infâme commerce ». Mais on retrouve encore dans cette décision la position relativement consensuelle de la Société de la Morale Chrétienne.

    A l’instar de la Société Biblique de Paris, de multiples initiatives provinciales avaient précédé la création de la Société des Traités Religieux dans la capitale. On en trouva à Montpellier, sous l’impulsion du pasteur Lissignol, peut-être dès 1815. Son collègue de Besançon, Mathieu Miroglio, aurait fait imprimer quelques traités dès 18185, tandis qu’à Toulouse, César Chabrand avait fondé une mystérieuse et éphémère Société des Traités Religieux qui allait préfigurer sa future Société des Livres religieux. Le pasteur Chabrand avait hébergé, lors de l’occupation de l’armée de Wellington en 1814, son collègue George Charles Smith (1782-1863), aumônier britannique bénévole qui transportait avec lui des caisses de traités offerts par la Religious Tracts Society. N’oublions pas enfin Strasbourg, où un professeur du séminaire luthérien, C. W. Krafft, ami et biographe de Frédéric Oberlin, avait édité des traités populaires en langue allemande.

    La société parisienne hérita très tôt des stocks subsistants de brochures de la plupart de ces diverses sociétés. Dès la fin de l’année 1822, elle en avait fait imprimer près de 100.000 autres.

(à suivre)

Jean-Yves Carluer.

1Société des Traités Religieux de Paris, Séance extraordinaire du comité, du 15 avril 1823, page 3

2Idem, p. 5.

3Ibidem, p. 5.

4Ibidem, p. 6.

5Daniel Robert, Les Églises réformées de France (1800-1830), PUF, 1961, p. 430.

 

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