L’Almanach des Bons Conseils :
la naissance d’un best-seller évangélique.
L’Almanach des Bons Conseils est rédigé pour la première fois en 1826 par Henri Lutteroth. Le prix initial avait été fixé à 25 centimes, mais l’augmentation du tirage permit rapidement de le proposer à 15 centimes l’unité. Rappelons que le salaire journalier d’un ouvrier était alors de 2 à 3 francs à Paris et 50 centimes dans les campagnes.
Henri Lutteroth était un banquier, né à Leipzig dans une famille d’ascendance huguenote, établi à Paris sous l’Empire1. Sa fortune familiale lui permet de se consacrer entièrement à la diffusion du Réveil dont il est un des meilleurs représentants de l’époque. Il est membre de beaucoup de sociétés évangéliques et un des fondateurs de la Chapelle Taitbout à Paris. Sa fille Mathilde épouse William Waddington, le fils du fondateur de la Société Biblique, qui deviendra ultérieurement Président du Conseil sous la IIIe République. Henri Lutteroth (1802-1889), homme de grande culture et habile écrivain, était bien au fait du mouvement intellectuel de son temps. Il lança également le journal Le Semeur, qui parut de 1830 à 1849 et bénéficia de la collaboration d’Alexandre Vinet et d’Edmond de Pressensé. Secrétaire de la Société des Traités Religieux, il rédigea pendant un quart de siècle l’Almanach des Bons Conseils, dont le contenu était clairement orienté vers un public populaire.
« La religion y est mêlée presque à tous les sujets avec bonheur2 » estime le journal Les Archives du Christianisme. Les réflexions morales alternent en effet avec les calendriers, les conseils pratiques et différences annonces. La ligne éditoriale de cet almanach se situait dans la droite ligne des publications de la Société des Traités Religieux, c’est-à-dire exprimer de façon non polémique et consensuelle la foi évangélique. Du coup, le risque était moins de heurter la sensibilité ecclésiale des lecteurs que de diffuser un discours essentiellement moralisateur. On comprend que les Évangéliques les plus radicaux aient voulu éditer après 1830 des traités beaucoup plus incisifs, voire agressifs. Mais il n’est pas question, en 1826, de s’engager dans cette voie.
La publication d’un almanach s’inscrit dans le contexte d’une tolérance précaire accordée à la littérature de colportage traditionnelle. Le positionnement consensuel de l’Almanach des Bons Conseils est un bon choix. Tiré à 6000 exemplaires en 1826, il se vend à 20.000 exemplaires à la fin de l’époque de la Restauration sans que le pouvoir ne s’émeuve. Le tirage dépassera ensuite les 100.000 exemplaires avec un record à 261.000 en 1859, en pleine période de répression de la diffusion protestante. Il est alors devenu le plus populaire de tous les almanachs français : un beau succès, et pourtant la concurrence est intense.
La Société des Traités Religieux éditait elle-même de nouveaux titres, plus spécialisés, comme L’Ami de la Jeunesse.
La diffusion des almanachs protestants dépassa largement le périmètre du public luthéro-réformé, surtout après que la Révolution de 1830 avait quelque peu élargi le champ des libertés. Mais déjà, à la veille des Trois Glorieuses, collecteurs et colporteurs avaient pris l’habitude de proposer cette littérature bon marché en même temps que les Nouveaux Testaments. Les rapports de l’époque attestent que les traités étaient prêtés ou offerts lors de la période de souscription. Le Bulletin de la Société Biblique de Paris, qui relatait, mois après mois, les progrès de la diffusion des Écritures en France peut, à cet égard, être considéré comme un premier vecteur d’évangélisation. Il était bien écrit, vivant, truffé d’anecdotes, de nouvelles exotiques et de comptes rendus des premiers missionnaires bibliques comme ceux de Robert Morrison en Chine. Les récits de conversion relatés pouvaient servir de base à des entretiens, et les tableaux numériques eux-mêmes avaient pour objectif de susciter une émulation entre les paroisses.
Au fur et à mesure que l’Almanach des Bons Conseils gagnait en réputation et en diffusion, il servit de sésame aux distributeurs bibliques itinérants. Il y en avait dans toutes les sacoches. L’almanach avait l’avantage annexe de pouvoir être proposé d’année en année. Le choix initial de sobriété et de sérieux en fit un moteur de la distribution de littérature protestante pendant plus d’un siècle.
1Dictionnaire du Monde religieux dans la France Contemporaine, p. 304-306.
2Les Archives du Christianisme au XIXe siècle, 1827, p. 528.